Doreen Valiente est considérée comme la « mère de la sorcellerie moderne ». Son influence sur la Wicca, notamment grâce à ses talents d'écrivaine et de prêtresse, a permis de façonner cette tradition spirituelle en lui apportant une structure poétique et spirituelle. Sa collaboration avec Gerald Gardner, fondateur de la Wicca, mais également son émancipation de ce dernier a fait d'elle une figure du féminisme, mais surtout de la pratique traditionnelle de la Wicca. Portrait.
1. Les débuts de Doreen Valiente
Doreen Valiente est née en 1922 dans le Surrey, en Angleterre, dans une famille de classe moyenne. Dès son plus jeune âge, elle développe un intérêt pour l'occulte et la magie, qu'elle commence à pratiquer durant son adolescence. Elle expérimente des rituels simples et se forme en autodidacte, notamment en créant des poupées magiques et en s'intéressant aux herbes médicinales à tel point qu'elle sera considérée plus tard comme une herboriste accomplie. Son intérêt pour l'occultisme se développe encore davantage après la Seconde Guerre mondiale, durant laquelle elle travaille à Bletchley Park comme traductrice et dans le domaine sensible du décryptage de messages.
Après la guerre, elle continue ses recherches sur l'ésotérisme en étudiant le spiritualisme, la théosophie et la magie cérémonielle, influencée par les écrits d'Aleister Crowley et de John Dee. Elle fréquente une église spiritualiste (liée à la médiumnité plus qu'à la religion) et participe à des cercles occultes, pratiquant notamment la magie avec un artiste du nom de Zerki, qui l'initie à certaines pratiques de l'Ordre Hermétique de l'Aube Dorée.
2. La rencontre avec Gerald Gardner
En 1952, Doreen Valiente, grande collectionneuse d'écrits occultes, tombe sur un article de magazine mentionnant Gerald Gardner, figure fondatrice de la Wicca, et un coven de sorcières pratiquant un rituel pour protéger et empêcher l'invasion de la Grande-Bretagne par Hitler durant la Seconde Guerre mondiale. Intriguée, elle entre en contact avec Gardner et se rend à son musée de sorcellerie sur l'île de Man. Il faut savoir que la dernière loi pénalisant la sorcellerie fut dissoute et la popularité de Gardner commença à grandir : c'est à ce moment qu'une correspondance régulière débuta entre Gardner et Valiente, puis une rencontre qui marqua le début de leur collaboration. En 1953, lors du solstice d'été, Valiente est intégrée et initiée dans le coven de Gardner jusqu'à devenir Grande Prêtresse.
Très rapidement, Valiente se distingue par ses talents littéraires et rituels, et elle prend un rôle clé dans la réécriture des rituels du Livre des Ombres. Gardner avait utilisé des fragments de textes provenant de diverses sources, notamment d'Aleister Crowley, mais c'est Valiente qui redonne cohérence et structure à ces écrits. Elle introduit un style plus poétique et spirituel, tout en intégrant des éléments de paganisme ancien. Son plus grand apport est le célèbre Charge of the Goddess, un texte qui fait encore partie intégrante des rituels Wiccans aujourd'hui.
3. La Charge de la Déesse
Ce texte est devenu l'un des plus emblématiques de la tradition Wicca, en partie grâce à la façon dont Valiente a su y insuffler une spiritualité pleine de sens tout en rendant la Wicca plus attrayante et plus poétique. Elle a également enrichi les rituels avec des éléments païens et folkloriques, s'éloignant parfois des influences plus modernes de Gardner pour retrouver ce qu'elle considérait comme l'essence des pratiques préchrétiennes.
Son style d'écriture, à la fois clair et poétique, a façonné la Wicca en lui donnant une tonalité accessible pour un large public. Elle a réussi à rendre la spiritualité Wicca non seulement plus compréhensible, mais aussi plus inspirante, en privilégiant des rituels qui célèbrent la connexion avec la nature et la divinité. Grâce à ses contributions, la Wicca a évolué d'un mouvement ésotérique relativement obscur à une tradition spirituelle largement pratiquée dans le monde entier.
Valiente contribue ainsi à rendre la Wicca plus accessible et moins élitiste. Elle plaide pour une approche plus ouverte et plus orientée vers la nature, contribuant ainsi à la popularisation du mouvement dans les années suivantes.
4. Divergences et indépendance
Doreen Valiente s'est progressivement éloignée de Gerald Gardner à mesure qu'elle prenait conscience de leurs divergences idéologiques. Une des raisons principales de cet éloignement était l'approche de Gardner vis-à-vis de la "publicité" autour de la Wicca. Alors que Gardner cherchait à faire connaître la sorcellerie moderne par des interviews et des publications médiatiques, parfois proches du scandale, Valiente préférait maintenir une certaine discrétion et considérait que les pratiques spirituelles devaient rester privées. Une autre source de tension était la question de l'authenticité des rituels. Valiente a remis en question la légitimité des sources de Gardner, notamment son utilisation de textes provenant d'Aleister Crowley, qu'elle jugeait inappropriée dans le contexte de la Wicca.
Cette prise de distance l'a amenée à explorer des voies spirituelles plus ouvertes et moins hiérarchisées. Valiente souhaitait développer une sorcellerie qui soit plus authentique, basée sur les traditions païennes anciennes, sans le cadre rigide et structuré que Gardner avait mis en place. Elle a notamment intégré des éléments du folklore britannique et des pratiques de sorcellerie plus anciennes dans son travail.
Après avoir quitté le coven de Gardner, Valiente a fondé son propre groupe, axé sur une pratique plus libre et communautaire de la Wicca, sans le besoin d'une autorité centrale ou de dogmes stricts. Elle s'est également impliquée dans d'autres courants spirituels et magiques, comme la sorcellerie traditionnelle britannique, cherchant à retrouver les « vieilles voies » préchrétiennes. Tout au long de sa carrière, Valiente a gardé son indépendance, et même si elle a travaillé avec différents groupes et covens, elle a toujours cherché à approfondir sa compréhension personnelle de la magie et de la spiritualité, tout en rendant la Wicca plus accessible à une nouvelle génération de pratiquants.
5. Désillusion des covens et défense des droits
Après cette séparation non sans colère du coven de Garder, Valiente fut intégré en tout à 4 covens qui insufflèrent une profonde déception en elle : malgré l'apparente égalité et la place de la Déesse aux côté du Dieu dans la Wicca, les covens sont au final dirigés par des hommes.
Dans son livre The Rebirth of Witchcraft (1989), Valiente est plus explicite sur son féminisme, affirmant que « nous avions le droit de nous appeler grandes prêtresses, reines sorcières et autres titres fantaisistes similaires ; mais nous étions toujours dans une position où les hommes dirigeaient les choses ». Valiente valorisait la collaboration plutôt que la domination et nourrissait l’espoir d’une spiritualité constructive qui mettait l’accent sur la nature, les libertés civiles et la justice sociale plutôt que sur des querelles et des batailles pour l’autorité. Plus que cela, elle voulait promouvoir une sorcellerie ouverte à tous. En avance sur son temps, elle défendit par son travail le droit des femmes et des homosexuels.
Sans surprise, elle créa donc son propre coven, et cela en dépit que son mari sera resté toute sa vie sceptique quant aux travaux de sa femme.
Étonnement, Valiente intègre pourtant un groupe politique de droit (ou d'extrême droite) pendant environ 18 mois. Un épisode d'autant plus étonnant étant donné les principes défendus par Valiente mais la rumeur dit qu'elle était recrutée comme espionne au service de l'État, qui ne sera jamais confirmée ni démenti par l'une ou l'autre des parties.
6. Une vie simple dédiée à la Wicca
Crédit photo : BBC
En 1971, Doreen Valiente apparaît dans un documentaire de la BBC sur la Wicca aux côtés d'Alex Sanders, fondateur de la Wicca d'Alexandrie. Malgré sa célébrité croissante, elle reste incroyablement terre à terre. Passionnée de football, Valiente aimait parier sur les chevaux et a occupé tout au long de sa vie un nombre incroyable d'emplois, notamment dans des usines, pour une entreprise de meubles et en pharmacie. Après la mort de son mari Casimiro Valiente, elle ne s'est jamais remariée mais a passé les 20 années qui lui restaient avec « l'amour de sa vie », Ron Cooke, qu'elle a initié à l'Art magique, jusqu'à devenir son Grand Prêtre. Ainsi, la vie du couple s'est articulée autour de vacances sans fioriture, de matchs de football à la télévision, de l'écriture et des engagements publics de Valiente, et de la pratique et de l'étude de la magie.
7. L'héritage et l'influence de Doreen Valente sur la Wicca
Valiente est décédée en 1999, deux ans après Ron, et ses cendres ont été dispersées autour des racines de son chêne préféré près dans l'East Sussex. Il est dit que deux des personnes présentes ce jour-là ont cueilli un gland de l'arbre, l'ont moulé en argent et ont offert des pendentifs en forme de gland aux personnes du Musée de la sorcellerie et de la magie de Boscastle, en Cornouailles. Ce musée, fondé par Cecil Williamson n'est autre que le successeur du musée de Gardner sur l'île de Man dont Valiente avait entendu parler en 1952 et qui avait joué un rôle si essentiel dans sa jeunesse en tant que sorcière. Un récit parfaitement bouclé pour une sorcière passionnée.
Il est assez courant de citer Gerald Gardner comme fondateur de la Wicca que nous connaissons aujourd'hui. Même si cela n'est pas forcément faux, c'est Doreen Valiente qui a préservé et modelé cette spiritualité de la façon la plus respectueuse possible. Ses écrits, en particulier ses poèmes et rituels, continuent d'être utilisés dans les covens et les pratiques Wiccans à travers le monde. Son texte, Charge of the Goddess, ainsi que la rédaction du Wiccan Rede, du respect de la nature ou de la place du féminin sacré font partie intégrante des rituels et des enseignements modernes de la Wicca traditionnelle.
L'importance de son œuvre et de son héritage est préservée aujourd'hui par la Doreen Valiente Foundation, créée pour protéger et diffuser son travail. Cette fondation s'efforce de conserver ses manuscrits, objets et écrits, tout en organisant des expositions et des événements éducatifs pour faire découvrir son œuvre au grand public. La fondation a également permis l'installation d'une plaque commémorative à Brighton, qui est aujourd'hui devenu un lieu de pèlerinage par les wiccans du monde entier.
