Dion Fortune, de son vrai nom Violet Mary Firth (1890-1946), est une occultiste, magicienne cérémonielle et écrivaine britannique. Figure marquante de l’ésotérisme anglo-saxon au 20ème siècle, elle a contribué à populariser l’étude de la magie et de la psychologie occulte par ses nombreux ouvrages et romans initiatiques. Portrait.
Jeunesse et formation
Violet Mary Firth naît le 6 décembre 1890 à Llandudno, au pays de Galles, dans une famille aisée de la classe moyenne britannique. Son grand-père paternel, industriel prospère, avait adopté pour devise familiale l’expression latine « Deo, non fortuna » (« Dieu, non le hasard »), affirmation d’une foi en la providence divine plutôt qu’en la chance. Des années plus tard, Violet Firth s’inspirera de cette devise pour forger son pseudonyme Dion Fortune, qu’elle utilisera pour signer l’essentiel de ses écrits ésotériques. Ses parents, Arthur Firth et Sarah Jane Smith, sont tous deux adeptes de la Science chrétienne, un courant spirituel prônant la guérison par la prière. Durant son enfance en pays de Galles, la jeune Violet affirme avoir vécu ses premières expériences psychiques. Elle confiera plus tard qu’à l’âge de quatre ans, elle avait des visions d’Atlantide, qu’elle interprétait comme des réminiscences d’une vie antérieure. Ces premières intuitions d’un monde invisible nourrissent son imaginaire et éveillent très tôt son intérêt pour la spiritualité.
Vers 1904, la famille Firth s’installe en Angleterre, d’abord dans le Somerset puis à Londres. À l’adolescence, Violet fait preuve d’une sensibilité artistique et publie même à compte d’auteur deux recueils de poésie, Violets (1904) et More Violets (1906). Après sa scolarité, elle entreprend des études peu conventionnelles pour une jeune femme de son milieu : en 1911, elle s’inscrit au Studley Agricultural College dans le Warwickshire afin d’y suivre une formation d’horticulture. Cependant, cette expérience tourne mal. La jeune femme subit l’ascendant moral et psychologique de la directrice de l’établissement, ce qui la mène à un épuisement nerveux et à une dépression sévère. Dion Fortune interprétera plus tard cette crise comme le résultat d’une agression psychique dont elle aurait été la cible, expérience qui marquera profondément sa vie et qu’elle relatera dans ses écrits sur la défense psychique. Épuisée, elle quitte le collège en 1913 et retourne auprès de sa famille pour se reconstruire.
Pour comprendre et surmonter cette épreuve, Violet Firth se tourne d’abord vers la psychologie naissante. De 1913 à 1916, à Londres, elle étudie la psychanalyse et la psychologie clinique, notamment auprès du Dr John Flügel à l’Université de Londres. Elle s’intéresse aux théories de Sigmund Freud et d’Alfred Adler, puis découvre celles de Carl Gustav Jung, qui incorporent une dimension plus spirituelle à l’analyse de l’esprit. Parallèlement, elle travaille comme conseillère dans une clinique de psychologie, où elle reçoit des patients souffrant de troubles émotionnels et de conflits intérieurs. Si ces approches scientifiques lui apportent un éclairage sur le fonctionnement du psychisme, Violet demeure insatisfaite : les méthodes classiques ne parviennent pas, selon elle, à expliquer certains phénomènes mentaux et mystiques dont elle a été témoin. Encouragée par ses lectures et par des conférences auxquelles elle assiste à l’heure du déjeuner dans les locaux de la Société théosophique, la jeune femme élargit alors son champ d’exploration. Déçue par les limites de la psychanalyse pour appréhender la totalité de l’expérience humaine, elle décide de se consacrer à l’étude des traditions ésotériques et occultes, où elle pressent des réponses plus adaptées à ses questions spirituelles.
Premiers pas dans l’occultisme
La Première Guerre mondiale (1914-1918) va confronter Violet Firth à de nouvelles responsabilités tout en approfondissant son cheminement intérieur. Engagée dans le Women’s Land Army (le service féminin agricole mobilisé pendant le conflit) pour soutenir l’effort de guerre, elle est envoyée dans une ferme du Hertfordshire où elle participe à la production alimentaire. Sur place, ses compétences pratiques se doublent d’une curiosité humanitaire : elle mène des expériences de fabrication de lait de soja pour pallier les pénuries et fonde une petite entreprise visant à distribuer cette alternative végétale. Cet épisode témoigne de son côté pragmatique et de son désir d’améliorer la vie quotidienne par des moyens novateurs. Surtout, c’est durant ces années de guerre que Violet Firth vit un tournant spirituel décisif. Sur la ferme où elle travaille, elle fait l’expérience intime d’une révélation mystique qui la bouleverse et renforce son attrait pour l’occulte. Elle se plonge alors dans les livres de la Société théosophique et se passionne pour la notion de Maîtres ascensionnés, ces grands instructeurs de l’humanité dont parle la tradition théosophique. Elle affirme avoir eu la vision de deux de ces êtres supérieurs : le Maître Jésus et le Maître Rakoczi (une figure ésotérique parfois associée au comte de Saint-Germain). Ces expériences mystiques confortent Violet Firth dans l’idée que son destin se trouve dans l’étude et la pratique de la magie.
C’est également à cette période charnière qu’elle rencontre celui qui deviendra son premier mentor occultiste. Un de ses patients de la clinique psychologique – un jeune soldat revenu du front de l’Ouest – se disait en proie à des phénomènes étranges, comme hanté par une présence invisible. Pour l’aider, Violet fait appel à un érudit irlandais de l’occulte, le Dr Theodore Moriarty, qui dirige un petit cercle ésotérique influencé par la franc-maçonnerie. Moriarty accepte d’examiner le cas du jeune homme et pratique sur lui un exorcisme peu conventionnel : il diagnostique l’attachement parasite de l’âme d’un soldat d’Europe de l’Est décédé, qui aurait vampirisé l’énergie de sa victime. L’intervention réussit à soulager le patient, impressionnant profondément Violet Firth. Fascinée par les connaissances de Moriarty, elle devient son élève assidue et rejoint le petit groupe d’ésotéristes qu’il anime à Hammersmith, dans la banlieue de Londres. Au contact de ce mentor, Violet étoffe rapidement sa culture ésotérique : Moriarty lui transmet son savoir sur des sujets aussi variés que les sciences hermétiques, la Kabbale occidentale et les anciennes civilisations disparues. Il la captive notamment par ses récits sur l’Atlantide, un thème auquel la jeune femme était sensible depuis l’enfance et qu’elle retrouvera tout au long de sa carrière d’auteure. Plus tard, Dion Fortune rendra d’ailleurs hommage à Moriarty en le mettant en scène sous les traits du Docteur Taverner, personnage central d’une série de nouvelles occultes qu’elle publiera en 1922 (rassemblées ensuite dans The Secrets of Dr. Taverner, 1926). À l’image de Moriarty, ce Dr Taverner de fiction pratique la magie afin de guérir des maux spirituels, affrontant entités invisibles et forces obscures dans un but thérapeutique.
Fortifiée par l’enseignement de Moriarty, Violet Firth est prête à franchir une nouvelle étape dans son parcours ésotérique. En 1919, à l’âge de 28 ans, elle est initiée au sein de la branche londonienne de l’Ordre hermétique de l’Aube dorée (Hermetic Order of the Golden Dawn). Cet ordre, fondé à la fin du 19ème siècle, avait fortement influencé le renouveau de l’occultisme en Europe mais avait connu des heures difficiles pendant la guerre. La loge à laquelle Violet est affiliée s’appelle l’« Alpha et Oméga » et est dirigée par Moina Mathers, l’une des veuves des fondateurs historiques de l’ordre. La jeune initiée y est parrainée par une amie de la famille, Maiya Curtis-Webb, occultiste chevronnée qui lui sert de guide dans ce milieu hermétique. Au sein de l’Aube dorée, Violet adopte formellement le nom mystique de Dion Fortune, reprenant ainsi la devise familiale Deo, non fortuna comme mot d’ordre dans sa quête spirituelle. Elle s’imprègne des rituels de magie cérémonielle et, surtout, se forme de manière structurée à la Kabbale hermétique, c’est-à-dire la tradition ésotérique occidentale inspirée de la mystique juive. L’étude approfondie de l’arbre séphirotique, des correspondances symboliques et des archétypes kabbalistiques l’enthousiasme et lui fournit le cadre intellectuel qui manquait jusqu’ici à ses expériences psychiques. Dion Fortune reconnaîtra plus tard que cette initiation kabbalistique a exercé sur elle une influence déterminante, orientant toute sa compréhension de la magie et de la psychologie occulte. En revanche, elle se montre plus réservée vis-à-vis de l’état de l’ordre lui-même : à son arrivée, la Golden Dawn lui paraît un peu figée et vieillissante, animée par des veuves de magiciens et des membres âgés dont l’élan innovateur s’est émoussé après la guerre. Qu’importe, la jeune femme est persuadée d’avoir mis la main sur un filon authentique de la « Tradition primordiale », qu’importent les faiblesses humaines de ses représentants. Elle s’investit donc pleinement dans les travaux de la loge.
En parallèle de son ascension au sein de l’Aube dorée, Dion Fortune continue d’explorer ses capacités médiumniques. En 1921, avec l’aide de Maiya Curtis-Webb, elle réalise plusieurs expériences de transe dans un état modifié de conscience. L’une de ces séances a lieu à Glastonbury, petit bourg du Somerset chargé de légendes, en présence de sa propre mère et de l’archéologue mystique Frederick Bligh Bond. Durant cette transe, Dion Fortune affirme être entrée en contact avec de mystérieuses entités qu’elle nomme les « Veilleurs d’Avalon ». Ces intelligences invisibles lui auraient révélé que la colline sacrée de Glastonbury Tor – associée au cycle du roi Arthur – abritait jadis un antique collège druidique. Marquée par cette révélation, Fortune commence à tisser un lien spirituel intense avec Glastonbury, lieu qui deviendra un pivot de son travail ésotérique futur. À la demande de Bligh Bond, elle rédige un article intitulé Psychology and Occultism, où elle tente de concilier approches psychologiques et savoir occulte, publié en 1922 dans les Transactions du College of Psychic Science. Cette synthèse illustre bien la double démarche de Dion Fortune à l’époque : utiliser le langage de la psychologie pour éclairer les phénomènes spirituels, et vice versa.
Au sein de l’Ordre de l’Aube dorée
Bien que relativement tardive (elle approche la trentaine lorsqu’elle est initiée), l’expérience de Dion Fortune au sein de l’Ordre hermétique de l’Aube dorée sera brève mais formatrice. En ce début des années 1920, l’organisation fondée par Samuel MacGregor Mathers vit ses derniers soubresauts : éclatée en diverses branches depuis des querelles internes survenues en 1900, elle n’a plus l’aura flamboyante d’antan. Dion Fortune appartient, elle, à la filiation de l’« Alpha et Oméga », qui tente de préserver l’héritage originel. Fortune y gravit les degrés initiatiques et s’illustre par son savoir, mais son esprit indépendant et ses idées neuves vont rapidement la mettre en porte-à-faux avec la hiérarchie.
Dès 1924, sentant l’ordre en perte de vitesse, Dion Fortune entreprend de rassembler autour d’elle un cercle d’études ésotériques plus actif. Avec l’appui de quelques confrères, dont son ami Charles Loveday, elle forme un groupe de travail occulte parallèle qu’elle imagine complémentaire à la Golden Dawn. Cette initiative n’est pas du goût de tout le monde : Moina Mathers voit d’un mauvais œil l’ascendant que prend Fortune sur certains membres et craint peut-être qu’une structure concurrente fasse de l’ombre à son autorité. Dion Fortune, de son côté, propose diplomatiquement que son groupe serve d’« antichambre » pour recruter de nouveaux adeptes qu’elle pourrait ensuite diriger vers l’Alpha et Oméga. La réponse de Moina Mathers est cinglante : en 1926, elle prononce l’exclusion pure et simple de Dion Fortune de l’Ordre hermétique de l’Aube dorée, sous un prétexte ésotérique – Fortune aurait dans son aura des « signes dissonants » incompatibles avec le groupe – pour justifier cette décision radicale. Blessée par cette rupture, Dion Fortune raconte alors avoir subi dans la foulée une série d’attaques occultes qu’elle attribue à Moina Mathers. Selon Fortune, ces agressions psychiques se seraient matérialisées de façon saisissante : elle aurait vu surgir autour d’elle des chats menaçants, à la fois bien réels et fantomatiques, cherchant à l’effrayer et à l’atteindre. Cet épisode étrange, qu’elle relatera plus tard dans son ouvrage Psychic Self-Defense, l’amènera à approfondir encore ses recherches sur la protection contre les influences négatives. Quoi qu’il en soit, l’expulsion de Dion Fortune marque la fin de sa brève affiliation à la Golden Dawn. La magicienne, désormais affranchie de toute tutelle, est prête à voler de ses propres ailes dans le paysage ésotérique britannique.
Engagement à la Société théosophique
La rupture d’avec l’Aube dorée coïncide pour Dion Fortune avec un regain d’intérêt pour la Société théosophique, mouvement fondé par Helena Blavatsky qui avait déjà éveillé sa curiosité plus jeune. En 1927, sous l’« instruction intérieure » de ses Maîtres spirituels, elle décide, avec Charles Loveday, de rejoindre la loge théosophique Christian Mystic Lodge dirigée à Londres par Daisy M. Grove. Cette loge, comme son nom l’indique, met l’accent sur l’étude du christianisme ésotérique au sein de la vaste galaxie théosophique. Pour Dion Fortune, fervente admiratrice de la figure du Christ qu’elle considère comme un Maître de sagesse, c’est un cadre idéal pour marier ses convictions chrétiennes et son ésotérisme naissant. Elle s’y investit pleinement et ne tarde pas à en prendre les rênes : dynamique et charismatique, Fortune est élue présidente de la loge peu après son adhésion. Sous son impulsion, le groupe voit ses effectifs croître et ses Transactions (bulletins publiés résumant les enseignements) gagnent de nouveaux lecteurs. Dion Fortune profite de cette tribune pour promouvoir ce qui lui tient à cœur : réhabiliter la place du Christ dans les enseignements théosophiques. Dans divers articles, elle insiste sur l’importance du « Maître Jésus » et critique ouvertement les tendances du mouvement qui, selon elle, négligent cet héritage occidental.
En particulier, Fortune polémique avec l’Église catholique libérale, une branche théosophique fondée par Charles W. Leadbeater et James I. Wedgwood, qu’elle accuse de se détourner du Christ au profit du Maître Maitreya d’Orient. Ses critiques publiques irritent certains dignitaires : un évêque de cette Église l’accuse même d’avoir déformé ses propos dans la presse occultiste. Ces querelles idéologiques créent des tensions croissantes avec d’autres factions théosophiques. Parallèlement, en 1929 survient un séisme au sein de la Société théosophique mondiale : Jiddu Krishnamurti, le jeune gourou indien que Leadbeater présentait comme l’Instructeur mondial à venir, renonce à son rôle messianique et prend ses distances avec l’organisation. Dion Fortune se range alors du côté des « Arrière à Blavatsky », un courant réformateur qui prône un retour aux enseignements originaux d’Helena Blavatsky et une épuration des dérives dogmatiques. Elle s’allie quelque temps à B. P. Wadia, dissident indien fondateur de l’United Lodge of Theosophists à Londres, partageant avec lui l’idée qu’il faut refuser toute idolâtrie de nouveaux messies. Mais là encore, son esprit d’indépendance reprend vite le dessus : bien qu’ouverte aux influences orientales, Dion Fortune avoue se sentir peu en affinité avec les courants trop « hindouisants » de la théosophie. Elle estime que chaque tradition spirituelle est liée à sa culture d’origine et déclare sans ambages préférer le système ésotérique occidental, adapté selon elle à la « constitution psychique » de l’Occident. Voyant que Wadia et ses partisans souhaitent implanter en Angleterre des concepts issus de l’hindouisme ou du bouddhisme, Fortune prend ses distances. Cette divergence se termine, comme souvent dans sa vie, par une rupture orageuse : elle quitte définitivement la Société théosophique à l’automne 1927, entraînant avec elle sa loge Christian Mystic Lodge qui rompt son affiliation officielle. Avant de partir, Dion Fortune fonde au sein même de sa loge un petit groupe qu’elle baptise Guild of the Master Jesus, destiné à ceux de ses élèves attachés au culte ésotérique du Christ : de 1928 à 1939, ces fidèles se réuniront tous les dimanches dans la chapelle improvisée de son centre londonien pour y célébrer un office mystique en l’honneur du Maître Jésus (cette « Église de la Cité Intérieure » sera plus tard renommée Church of the Graal). Désormais affranchie des structures établies, Dion Fortune est libre de tracer sa propre voie en créant sa propre école de sagesse.
Fondation de la Fraternité de la Lumière Intérieure
Exclue de la Golden Dawn et autodéterminée à suivre sa propre inspiration, Dion Fortune jette les bases de son propre ordre ésotérique dès la fin des années 1920. Entourée de quelques proches collaborateurs – Charles Loveday, Gwen Stafford-Allen et son époux Thomas Penry Evans – elle fonde en 1927 une société occulte indépendante qu’elle appelle d’abord Community of the Inner Light (« Communauté de la Lumière Intérieure »). Le choix de ce nom souligne son ambition : constituer un groupe dédié à la quête de la “Lumière intérieure”, c’est-à-dire de la connaissance spirituelle et de l’illumination personnelle, dans la lignée de la tradition occidentale. Loveday, doté de moyens financiers grâce à un héritage, aide à acquérir pour le groupe un siège londonien : c’est une maison victorienne située au 3 Queensborough Terrace dans le quartier de Bayswater, qui servira à la fois de siège social, de temple et de lieu de vie communautaire. Tandis que les étages supérieurs sont aménagés en dortoirs et en bureaux, un étage entier est consacré à un sanctuaire orné de symboles égyptiens et kabbalistiques où se déroulent rituels et méditations collectives. En parallèle, Dion Fortune tient à conserver un lien avec Glastonbury, ce haut-lieu mystique qu’elle affectionne : dès 1924, son groupe achète un ancien verger au pied du Glastonbury Tor, la colline sacrée surmontée de la tour Saint-Michel. Sur ce terrain qu’ils surnomment Chalice Orchard, Fortune et ses associés construisent petit à petit un refuge spirituel rustique – une cabane puis de petits chalets – où ils iront régulièrement se ressourcer en contact de l’« énergie tellurique » du lieu. Dion Fortune est convaincue que Glastonbury recèle une puissance spirituelle particulière, et plusieurs de ses visions et enseignements s’inspireront de l’« Égrégore » du légendaire Avalon.
Une fois l’infrastructure en place, la société de Dion Fortune attire rapidement de nouveaux membres. Curieux, étudiants en occultisme ou chercheurs d’absolu affluent aux conférences que l’occultiste organise presque chaque semaine à Queensborough Terrace. Elle-même donne de nombreux enseignements publics, dévoilant avec pédagogie des notions d’ésotérisme à un auditoire avide de connaissances. En octobre 1927, elle lance également une revue, The Inner Light, magazine trimestriel où paraissent des articles de fond sur la mystique occidentale, la psychologie des symboles, les expériences sur les plans invisibles, etc.. Le succès est au rendez-vous : le premier tirage de 500 exemplaires s’écoule en deux semaines seulement, et la revue acquiert une audience internationale avec des abonnés jusque hors de Grande-Bretagne. Consciente que tout le monde n’est pas prêt pour les pratiques exigeantes de la magie cérémonielle, Fortune structure son organisation en cercles progressifs. Elle met en place un système de trois degrés initiatiques correspondant aux « Petits Mystères », par lesquels les aspirants doivent passer l’un après l’autre pour assimiler progressivement l’enseignement. Chaque degré comporte un minimum de trois mois de formation et de travaux pratiques avant de pouvoir accéder au suivant. Ce cursus se veut accessible et formateur : il allie études théoriques (cours par correspondance, lectures guidées, entraînement à la méditation) et participation à des rituels symboliques visant à faire vivre intérieurement les notions apprises. Au bout du parcours, les élèves les plus avancés sont admis aux « Grands Mystères », c’est-à-dire aux cercles internes réservés aux initiés confirmés où se déroulent les travaux occultes les plus poussés. Fait notable pour l’époque, la Fraternité de la Lumière Intérieure attire une majorité de femmes : dès la fin des années 1920, on compte environ quatre femmes pour un homme parmi ses membres. Tous, sans distinction de genre, sont initialement appelés entre eux « Frères », avant que la terminologie n’évolue pour adopter celle de « Serviteurs de la Lumière » plus neutre. À la fin de l’année 1928 – lors du solstice d’hiver – Dion Fortune officialise la création de la Fraternity of the Inner Light (en français Fraternité de la Lumière Intérieure), branche centrale de son organisation dédiée aux « Mystères mineurs ». Elle s’entoure pour cela d’un conseil comprenant son mari Penry Evans et Charles Loveday, qui deviennent avec elle les principaux officiants de l’ordre naissant.
Au tournant de la décennie 1930, la Fraternité de la Lumière Intérieure est solidement établie. Dion Fortune, qui a beaucoup œuvré publiquement pour recruter et former des novices, éprouve alors le besoin de se recentrer sur sa propre quête spirituelle. À l’équinoxe de printemps 1930, elle annonce qu’elle va se retirer quelque peu de l’avant-scène : désormais, ayant posé les fondations de l’organisation, elle souhaite s’adonner davantage à sa pratique intérieure personnelle et à la contemplation. L’année suivante, lors de l’équinoxe de 1931, elle passe officiellement le flambeau du leadership : Charles Loveday est nommé « Magus du Lodge » (Grand Maître du groupe) tandis qu’elle-même se place en retrait du gouvernement quotidien de la Fraternité. Cela ne signifie nullement qu’elle cesse toute activité – bien au contraire. Durant les années 1930, Dion Fortune continue d’écrire abondamment (livres, articles, cours) et d’orienter la philosophie de son école, mais elle privilégie désormais le travail ésotérique interne et les expériences mystiques personnelles. Elle délaisse peu à peu les communications médiumniques directes (par écriture automatique ou transe) pour se consacrer davantage aux rituels formels et aux cérémonies magiques structurées. D’autres membres de la Fraternité prendront le relais des contacts médiumniques avec les Maîtres, afin de continuer à alimenter l’enseignement en messages inspirés, pendant que Fortune affine les rituels initiatiques du groupe.
Malgré la Grande Dépression qui sévit alors, Dion Fortune parvient à faire prospérer son œuvre. Vers 1935, elle lance une souscription et recueille assez de fonds pour édifier à Glastonbury un sanctuaire permanent sur le terrain du Chalice Orchard, concrétisant son rêve d’offrir à sa communauté un haut lieu de méditation en pleine nature. La même année, elle accueille au sein de la Fraternité une nouvelle recrue de marque : la romancière Christine Campbell Thomson, qui était son agente littéraire depuis 1926 et qu’elle initie désormais à l’ésotérisme. Dion Fortune l’aidera même à se libérer d’un mariage malheureux, témoignant ainsi d’un réel soutien sororal envers les femmes de son cercle. Vers la fin des années 1930, la Fraternité de la Lumière Intérieure est donc un ordre bien vivant, doté de deux centres (Londres et Glastonbury), d’un enseignement riche et d’une dirigeante respectée pour sa sagesse et sa bienveillance.
Œuvres majeures : essais et romans ésotériques
Parallèlement à ses activités de formatrice et de dirigeante d’ordre, Dion Fortune s’est illustrée par une carrière littéraire prolifique. Sa plume, tour à tour didactique et romanesque, a largement contribué à diffuser ses idées et à assurer sa postérité. Dès 1922, elle publie sous son nom civil Violet Firth un premier ouvrage, The Machinery of the Mind, reprenant ses conférences sur la psychologie appliquée qu’elle avait données quelques années plus tôt. Mais c’est à partir de 1927 qu’elle adopte presque exclusivement le pseudonyme Dion Fortune pour signer ses livres à caractère occulte. La même année paraît son premier roman initiatique, The Demon Lover (1927), une histoire fantastique où une jeune femme naïve tombe sous l’emprise d’un mage noir charismatique. Ce roman, s’il relève encore du thriller surnaturel, annonce déjà le style Fortune : l’intrigue divertit autant qu’elle instruit, car l’autrice y distille en filigrane un enseignement sur les dangers de la médiumnité non contrôlée et la nécessité de la protection psychique. Le Times Literary Supplement salue à l’époque ce début littéraire d’un bref mais positif compte-rendu.
Au fil des années, Dion Fortune alterne entre essais ésotériques et fictions occultes, bâtissant une bibliographie éclectique dont certaines œuvres deviendront des classiques de l’ésotérisme occidental. Parmi ses livres non fictionnels les plus influents figure The Esoteric Philosophy of Love and Marriage (1924), où elle explore la dimension sacrée des rapports entre hommes et femmes à la lumière des principes occultes. Dans Sane Occultism (1929), traduit plus tard en français sous le titre Occultisme sans blasphème, elle plaide pour une pratique de la magie équilibrée et exempte de superstition, témoignant de son effort constant pour démystifier l’occulte et le rendre compatible avec la raison. Son ouvrage le plus célèbre en la matière reste sans doute Psychic Self-Defense (1930, La Défense psychique), un guide pratique de protection contre les influences psychiques négatives. Rédigé dans un style direct, agrémenté d’exemples vécus tirés de sa propre expérience, ce livre a marqué des générations d’étudiants en ésotérisme par ses conseils concrets pour reconnaître et repousser les attaques occultes. L’historienne Claire Fanger a décrit Psychic Self-Defense comme « à la fois un recueil de témoignages, un manuel d’exorcisme à faire soi-même, une autobiographie partielle et – sans doute – en partie une œuvre de fiction », soulignant ainsi la nature hybride et captivante de cet ouvrage inclassable.
En 1935, Dion Fortune publie The Mystical Qabalah (La Kabbale mystique), qui demeure à ce jour son chef-d’œuvre théorique. Synthèse claire et profonde de la Kabbale hermétique apprise à la Golden Dawn, ce livre propose une exploration méthodique de l’Arbre de Vie et de ses sentiers, tout en y intégrant les visions intérieures propres à l’autrice. Dion Fortune y partage en effet ses méditations personnelles sur chaque séphirah, qu’elle évoque comme si elle les avait visitées en esprit lors de ses contemplations. L’ouvrage connaît un immense retentissement dans le milieu occultiste anglophone. Même Francis X. King, historien de l’occulte parfois critique envers l’œuvre de Fortune, reconnaîtra que The Mystical Qabalah est « indubitablement un classique de la Tradition occidentale ». Accessible aux débutants tout en étant riche pour les initiés, ce livre reste aujourd’hui une porte d’entrée privilégiée vers la Kabbale ésotérique.
Côté romans, Dion Fortune a également laissé une empreinte significative. Ses fictions occultes, publiées essentiellement dans les années 1930, mettent souvent en scène des initiations mystiques vécues par des héroïnes ou héros en quête de lumière. Après The Demon Lover (1927), elle publie The Winged Bull (1935) puis The Goat-Foot God (1936), qui puisent dans le répertoire du paganisme antique (respectivement le culte de Mithra et le dieu Pan) pour illustrer la résurgence de puissances archétypales dans la vie de personnages modernes. Son roman le plus fameux est sans doute The Sea Priestess (1938), qu’elle doit auto-éditer via sa Fraternité après le refus de son éditeur habituel. Dans ce récit envoûtant se déroulant sur les côtes sauvages du Somerset, une prêtresse des anciens dieux de la mer initie un homme désabusé aux mystères de la Grande Déesse et des cycles cosmiques de la nature. The Sea Priestess est considéré comme l’un des sommets du roman magique en langue anglaise, et la critique moderne voit en Dion Fortune une pionnière de la fantasy ésotérique aux côtés d’auteurs tels que H. Rider Haggard, Algernon Blackwood ou Charles Williams. Un dernier roman, Moon Magic, reprenant le personnage de la prêtresse de la mer, restera inachevé du vivant de l’autrice ; il sera achevé par un de ses disciples et publié à titre posthume en 1956.
Fait notable, Dion Fortune a également écrit sous pseudonyme masculin – V. M. Steele – trois romans d’aventures et de suspense (dont The Scarred Wrists, 1935), sans lien direct avec l’occultisme. Elle semble avoir pratiqué cet exercice plus léger « pour l’amour de l’art », comme pour prouver qu’elle pouvait aussi divertir en dehors des cercles ésotériques. Cependant, ses récits initiatiques restent ses œuvres de prédilection. Dion Fortune considérait en effet ses romans occultes comme un prolongement de son enseignement : selon elle, la fiction permet de toucher l’inconscient du lecteur et de l’« initier » en douceur aux vérités ésotériques, même si son esprit rationnel résiste aux doctrines secrètes. Chacun de ses grands romans était ainsi conçu comme une allégorie illustrant un aspect des Mystère : elle-même liait The Winged Bull à la séphirah Tiphereth (la Beauté solaire), The Goat-Foot God à Malkuth (le Royaume terrestre) et The Sea Priestess à Yesod (la Lune et le Féminin sacré). Grâce à cette approche, l’œuvre littéraire de Dion Fortune a inspiré de nombreux chercheurs spirituels, qui y ont trouvé matière à éveil et réflexion au-delà du simple divertissement.
Vie personnelle et fin de vie
Si l’essentiel de la vie de Dion Fortune se déroule dans la sphère de l’étude et de la pratique ésotérique, sa vie personnelle n’en est pas moins digne d’intérêt, marquée par au moins une grande histoire d’amour et des amitiés solides. En avril 1927, à 36 ans, Violet Mary Firth épouse le Dr Thomas Penry Evans, un médecin gallois de son âge rencontré quelques années plus tôt. Penry Evans, issu d’un milieu plus modeste, n’est pas versé dans l’occultisme, mais il soutient sa femme dans ses activités et s’implique même à ses côtés. Le voyage de noces conduit le couple à Glastonbury, ce qui en dit long sur la place du spirituel dans leur union : plutôt qu’une lune de miel mondaine, ils choisissent le pèlerinage mystique auprès du Tor d’Avalon, reflet de l’univers intérieur de Dion Fortune. Pendant un temps, le ménage Evans semble harmonieux. Penry accompagne Dion dans certaines expériences ésotériques : c’est ainsi qu’en 1927-1928, il assiste aux séances de transe au cours desquelles sa femme affirme canaliser les messages d’un « Maître de la Médecine » – entité spirituelle qui prodigue via Dion Fortune des conseils de diagnostic et de guérison alternatifs. Ces communications médiumniques, que Fortune compilera en un recueil privé intitulé The Principles of Esoteric Medicine, intriguent Penry Evans autant qu’elles le dépassent. Certains proches iront jusqu’à supposer que ce « Maître de la Médecine » pourrait être l’esprit du célèbre médecin Paracelse, voire de l’obstétricien visionnaire Ignaz Semmelweis, désireux de poursuivre son œuvre depuis l’au-delà. Quoi qu’il en soit, l’implication de Penry Evans dans la vie occulte de Dion Fortune atteint sans doute ses limites à l’approche des années 1930.
En effet, avec le temps, le fossé se creuse entre les époux. Penry, malgré sa bonne volonté, supporte de moins en moins l’omniprésence de l’occulte dans leur existence quotidienne. Des rumeurs font état d’incartades et de liaisons extra-conjugales qu’il aurait eues de son côté, tandis que Dion Fortune confie à certaines amies de la Fraternité qu’elle a épousé Penry davantage pour des raisons « magiques » (peut-être voyait-elle en lui un partenaire karmique ou une polarité complémentaire nécessaire à ses travaux) que par amour romantique. Finalement, Penry Evans demande le divorce vers 1938 afin d’épouser une autre femme qui a conquis son cœur. Le coup est dur pour Dion Fortune. Profondément meurtrie, elle se dit atterrée par cette trahison, mais elle ne s’y oppose pas et accepte la séparation sans scandale. Le divorce est prononcé peu avant la Seconde Guerre mondiale, mettant fin à douze ans d’un mariage singulier où l’ésotérisme aura tenu lieu d’enfant chéri du couple (le foyer Fortune-Evans n’ayant pas eu d’enfants). Après cette rupture, Dion Fortune quittera le domicile conjugal pour s’installer dans un lieu tout à fait insolite : The Belfry, une ancienne chapelle presbytérienne reconvertie en habitation dans le quartier huppé de Knightsbridge à Londres. C’est entre les murs de cette ex-église, qu’elle aménage en sanctuaire personnel, qu’elle va passer la fin des années 1930, plus solitaire mais loin d’être inactive. Au contraire, ce retrait coïncide avec une phase de créativité rituelle intense : c’est à The Belfry qu’elle élabore de nouveaux rituels d’inspiration païenne, tels que le Rite d’Isis ou le Rite de Pan, célébrations mystiques honorant les divinités de la nature. Alan Richardson, l’un de ses biographes, notera qu’en cette fin de décennie Dion Fortune adopte une orientation de plus en plus « païenne », se tournant vers la symbolique de la Terre et du Féminin sacré avec une ferveur renouvelée.
En septembre 1939, la Seconde Guerre mondiale éclate, bouleversant la vie de millions d’individus – et l’organisation de la Fraternité de la Lumière Intérieure n’y échappe pas. Nombre de jeunes membres sont mobilisés dans les forces armées, réduisant les effectifs disponibles pour les activités ésotériques. Dion Fortune, qui a le patriotisme chevillé au corps, ne baisse pas les bras pour autant. Incapable de rester passive face au conflit, elle met en place dès octobre 1939 une vaste campagne de méditations collectives à visée défensive et protectrice. Chaque dimanche, elle envoie à distance à tous les Frères et Sœurs de la Lumière des visualisations guidées, des prières et des images mentales positives à maintenir, afin d’« inonder » le psychisme collectif d’influences de paix et de courage. Cette initiative, qu’on appellera plus tard la « Bataille magique de Grande-Bretagne », vise à soutenir moralement la nation face aux ténèbres de la guerre. Lorsque commencent le Blitz et les bombardements de Londres en 1940, Dion Fortune exhorte même ses fidèles à réciter un mantra protecteur à chaque incursion de la Luftwaffe, afin d’invoquer les « Secoureurs invisibles » des plans subtils pour venir en aide aux populations en danger. Elle-même décrit comment, en février 1940, elle a visualisé des forces angéliques patrouillant le littoral britannique pour repousser toute tentative d’invasion. Ces travaux occultes d’un genre particulier se font dans des conditions précaires : le siège de Queensborough Terrace est endommagé par une bombe pendant le Blitz, contraignant la société à suspendre la parution de son magazine Inner Light faute de papier et à se replier quelque temps sur des échanges de lettres. Malgré tout, Dion Fortune tient bon : le toit du bâtiment est vite réparé et les réunions ésotériques reprennent dès que possible. À partir de 1942, anticipant déjà la fin du conflit, elle restructure la Fraternité pour le monde d’après-guerre : elle relance les services religieux du dimanche via sa Church of the Graal, met en place de nouveaux cours d’études pour recruter la génération à venir, et commence à échafauder le projet ambitieux de fédérer les occultistes de toute l’Europe une fois la paix revenue. Dans cet esprit œcuménique, elle n’hésite pas à tendre la main à d’autres courants autrefois rivaux : elle reprend langue avec les spirites et le College of Psychic Studies de Londres (rédigeant même des articles conciliants à l’égard du spiritisme qu’elle avait autrefois critiqué). Fait encore plus surprenant, elle engage une correspondance cordiale avec Aleister Crowley, la figure la plus controversée de la magie cérémonielle. En 1942, elle lui écrit pour lui exprimer son respect – elle le qualifie de « véritable adepte » – malgré les divergences de doctrines entre eux, et elle ira jusqu’à lui rendre visite chez lui à Hastings peu après : Crowley et Fortune, deux anciens de la Golden Dawn aux chemins fort différents, se rencontrent ainsi en personne et, selon le témoignage de Kenneth Grant (secrétaire de Crowley), « s’entendirent très bien » autour de discussions ésotériques passionnées. C’est dire l’ouverture d’esprit dont fait preuve Dion Fortune à l’approche de la cinquantaine, cherchant à réconcilier les talents dispersés de la communauté ésotérique pour bâtir l’avenir.
Durant les derniers mois de la guerre, elle reprend même ses pratiques de channeling en compagnie de son ancienne initiatrice Maiya (Curtis-Webb) Tranchall-Hayes. Ensemble, elles cherchent à contacter les Maîtres des siècles passés qui auraient autrefois inspiré l’Ordre de l’Aube dorée. De ces transes naît un enseignement qu’elles baptisent la « Formule arthurienne » : une série de messages psychiques reçus entre 1941 et 1942, présentant les légendes du roi Arthur et des chevaliers de la Table ronde comme des réminiscences de l’Atlantide, et proposant une nouvelle structuration initiatique en trois volets (voie d’Arthur, voie de Merlin et de la Fée, voie de Guenièvre axée sur les Forces de l’Amour). Ces éléments témoignent de l’infatigable créativité spirituelle de Dion Fortune, même en période troublée.
Hélas, la voyante de Glastonbury n’aura pas le temps de voir se réaliser tous ses projets d’après-guerre. À l’automne 1945, épuisée par des années de labeur intense, Dion Fortune tombe gravement malade. Elle doit annuler la conférence qu’elle comptait donner au solstice d’hiver – événement qu’elle honorait pourtant chaque année – tant ses forces déclinent. Admise à l’hôpital de Middlesex à Londres, elle y décède le 8 janvier 1946, à l’âge de 55 ans, des suites d’une leucémie foudroyante. Sa dépouille est transportée à Glastonbury, sa terre d’âme, où elle est inhumée dans le cimetière local. La cérémonie funéraire, sobre, est conduite par le révérend L. S. Lewis, le vicaire de l’église anglicane St John de Glastonbury. Par égard pour ses convictions, on choisit de l’enterrer non loin du légendaire Chalice Well, cette source sacrée symbole de la quête du Graal, comme pour réunir la chrétienne et la païenne qu’elle fut en un même lieu de repos. Peu après, son fidèle ami Charles Loveday meurt à son tour et sera enterré à proximité, perpétuant dans la mort l’alliance spirituelle qui les unissait.
Dion Fortune avait expressément demandé de son vivant à ce que son œuvre prime sur sa personnalité, de crainte qu’un culte de la personnalité ne vienne parasiter le message qu’elle souhaitait transmettre. Ses successeurs au sein de la Society of the Inner Light (nom qu’adoptera plus tard sa Fraternité) respecteront cette volonté : ils mettront l’accent sur l’étude de ses textes plutôt que sur la commémoration de sa biographie, allant même jusqu’à détruire certains de ses journaux intimes et correspondances pour préserver la confidentialité de sa vie privée. Dion Fortune laisse néanmoins derrière elle un patrimoine considérable. Elle lègue la majeure partie de ses biens à la société qu’elle a fondée, assurant ainsi la pérennité de celle-ci. Plusieurs livres inachevés ou confidentiels seront publiés après sa mort, comme The Cosmic Doctrine (son traité de cosmologie spirituelle reçu en médiumnité entre 1923 et 1925, finalement édité en 1949) ou son roman Moon Magic (paru en 1956).
Au terme de cette vie exceptionnellement riche, Dion Fortune apparaît comme l’une des personnalités les plus influentes de l’occultisme britannique du 20ème siècle. Surnommée par certains la « Prêtresse de la Lune », Dion Fortune a œuvré sans relâche pour rapprocher le ciel et la terre, le visible et l’invisible.
