On croise parfois son nom dans un vieux livre de prières ou au dos d’un talisman. L’Abbé Julio n’appartient pas aux figures religieuses habituelles. Il a suivi sa propre voie, entre foi, guérison et écrits populaires. Son parcours intrigue, son œuvre circule encore dans certaines pratiques du quotidien. Portrait.
1. Portrait d’un prêtre à contre-courant
Julien-Ernest Houssay naît en 1844 à Cuisery, un petit village de Saône-et-Loire. Il entre au séminaire jeune et est ordonné prêtre à Langres en 1867. Il commence son ministère dans plusieurs paroisses rurales, notamment à Chesley, dans l’Aube. C’est là qu’il se confronte aux réalités du terrain : la misère, l’isolement, la distance entre les besoins du peuple et la hiérarchie religieuse. Cette tension le pousse à remettre en question sa place dans l’Église catholique romaine.
Abbé Julio
Il se rapproche alors du gallicanisme, un courant qui revendique une Église indépendante de Rome, plus proche des fidèles et des besoins du terrain. Sa rupture avec l’institution officielle se confirme, et il rejoint les rangs de l’Église catholique gallicane, où il peut exercer librement. Il s’installe ensuite à Paris, dans un quartier populaire, où il reçoit à son domicile. Il écoute, conseille, bénit. Il agit comme prêtre, mais sans structure officielle, en marge, à sa manière.
Jusqu’à sa discrète mort en 1912, dans cette même ville, il reste fidèle à cette vocation parallèle. Il n’a jamais fondé d’ordre, ni formé de disciples en bonne et due forme. Mais ses livres, ses prières, ses symboles ont commencé à circuler, et leur portée dépasse largement les murs de son appartement parisien.
2. Le thaumaturge des campagnes
L’Abbé Julio n’a jamais revendiqué de pouvoirs extraordinaires. Pourtant, dans les campagnes françaises, son nom circule comme celui d’un homme capable d’aider là où la médecine s’arrête. Ce n’est pas la figure d’un faiseur de miracles spectaculaire qui prend forme, mais celle d’un prêtre de proximité, capable d’apaiser, de soulager, de guider. Il reçoit, il répond, il écrit. Il propose des prières adaptées aux situations concrètes : une maladie, un mal-être, un enfant en danger, une maison troublée, un animal blessé.
Ce qu’il propose touche au sacré, mais ne relève pas du dogme. Il offre des bénédictions à distance (déjà !), envoie des formules à recopier, joint des conseils simples à appliquer. Tout repose sur la foi personnelle, mais aussi sur une structure claire, sur des mots choisis avec soin. Il ne s’agit pas de promettre des prodiges, mais d’agir avec sérieux, en soutenant ceux qui cherchent du réconfort, une protection ou une amélioration.
Ce lien qu’il entretient avec les fidèles s’appuie sur une parole accessible. Il n’emploie ni un latin pompeux ni un vocabulaire réservé à l’élite. Il écrit dans une langue compréhensible, directe, qui parle à tous. Ses prières circulent par courrier, par bouche-à-oreille, par des livrets imprimés à compte d’auteur. On les copie dans des carnets, on les garde dans un tiroir, on les transmet à ses enfants. Cette diffusion parallèle échappe au contrôle des autorités religieuses, mais elle répond à un besoin réel.
L’Abbé Julio ne soigne pas à la place des médecins. Il propose autre chose : un espace intérieur où la foi peut soutenir le corps, où la parole peut accompagner la guérison, où le sacré n’est pas réservé à l’autel. C’est en cela qu’il devient un thaumaturge : non par un don spectaculaire, mais par une manière de prendre soin autrement, en silence, en retrait, avec les armes de la prière.
3. Ses livres de prières et secrets spirituels
L’Abbé Julio n’a pas seulement marqué les esprits par sa manière d’agir. Il a laissé derrière lui une œuvre écrite considérable, dont plusieurs volumes continuent de circuler aujourd’hui. Ses livres de prières ne ressemblent pas aux missels classiques. Ils mêlent formules religieuses, textes de protection, invocations de guérison, exorcismes et bénédictions domestiques. Ces recueils s’adressent à tous, sans condition de statut ou de savoir. On y trouve des prières pour les malades, les accouchées, les voyageurs, les maisons en danger, les enfants agités. Chaque page ouvre une possibilité d’action par la foi.
Livre de prières de l'abbé Julio. Source : Livre Rare
Le plus connu de ses ouvrages reste le Recueil de Prières et d’Exorcismes, parfois appelé Grand Livre des Prières de l’Abbé Julio. Certaines éditions comportent des ajouts, des variantes, des pages glissées entre deux prières, parfois même des notes manuscrites laissées par les lecteurs eux-mêmes. Ce livre vit. Il circule dans les familles, dans les églises indépendantes, dans les tiroirs d’autels. Il est utilisé dans des rituels simples, discrets, parfois très personnels.
Ce qui frappe, c’est la précision des formules. Chaque prière porte un titre clair, une intention nette. L’Abbé Julio ne cherche pas à impressionner par des discours complexes. Il va droit au but. Il parle aux gens dans leurs douleurs concrètes, dans leurs inquiétudes quotidiennes. Il leur offre des mots pour s’adresser au ciel sans passer par des intermédiaires inaccessibles. Il reprend aussi certaines structures anciennes issues de traditions populaires, en y ajoutant une base chrétienne forte.
Son écriture s’inscrit dans une tradition qui valorise la prière active, la parole qui agit. Il ne rédige pas pour orner, mais pour que le texte serve. Chaque prière est un outil. Chaque page devient un appui. C’est cela qui a assuré la longévité de ses livres : leur usage, leur efficacité ressentie, leur accessibilité. Loin des dogmes, ils continuent à parler à ceux qui cherchent une foi vivante, proche, adaptable.
En voici quelques exemples :
Prière pour retrouver un objet perdu
Cette prière s’adresse directement à saint Antoine. Elle commence sans détour, par une demande claire : “Saint Antoine, fidèle serviteur du Seigneur, toi qui ne refuses rien à ceux qui te prient avec confiance, aide-moi à retrouver [nommer l’objet].” Le texte continue avec quelques lignes supplémentaires, sans fioriture, et se termine par un simple “Ainsi soit-il”.
Prière contre la peur la nuit
Elle est courte, adressée à Jésus et à l’archange Saint Michel. Elle demande explicitement la paix de l’esprit et la protection contre les esprits mauvais, “ceux qui rôdent dans les ténèbres”, pour reprendre ses mots exacts. Elle est pensée pour être dite avant le coucher, seule, dans le calme.
Formule de bénédiction pour une maison
Dans ses textes, l’Abbé Julio propose une prière à réciter en faisant le tour du lieu, une croix ou un crucifix à la main. Il indique de dire ces mots à voix haute : “Seigneur Jésus-Christ, bénis cette maison, chasse-en toute influence mauvaise, et fais de ce lieu un abri de paix.” Là encore, rien de compliqué. Il suffit d’un objet chrétien (une croix, de l’eau bénite) et d’une prière qui s’adresse directement à Dieu, sans intermédiaire.
Exorcisme court pour un malade
Il donne des formules très brèves pour chasser “l’esprit d’oppression” ou “l’esprit d’infirmité” au nom du Christ. Une des prières commence par ces mots : “Je t’ordonne au nom de Jésus, esprit de douleur, de quitter ce corps qui ne t’appartient pas.”
4. Entre foi chrétienne et ésotérisme
L’Abbé Julio ne s’est jamais présenté comme un mage ou un occultiste. Pourtant, ses écrits croisent des éléments qui s’éloignent de la liturgie officielle de l’Église. Certains y voient une passerelle entre la foi chrétienne et des pratiques plus anciennes, ancrées dans les gestes de protection, les formules orales et l’usage d’objets chargés. Cette frontière entre religion et ésotérisme, il ne la franchit pas volontairement. Il la frôle, il l’explore, mais toujours en restant attaché à la figure du Christ, aux anges, aux saints, et à la prière.
Dans ses livres, la prière agit comme une force. Elle peut guérir, éloigner un mal, bénir un objet, ouvrir un chemin. Il ne s’agit pas de demander un miracle, mais d’affirmer une présence, de placer la foi au cœur d’un acte concret. Ce positionnement rejoint certaines pratiques populaires, bien vivantes dans les campagnes de son temps, où l’on appelait un prêtre pour bénir un champ, une maison ou une source. Ces usages, souvent écartés par l’institution, trouvent chez l’Abbé Julio une forme d’accueil, de reconnaissance.
Il parle aussi d’anges protecteurs, de noms divins, de forces du mal. Il propose des prières contre les maléfices, les mauvais sorts, les envoûtements. Il ne détaille pas leur origine, il ne décrit pas les causes, mais il donne des mots pour s’en protéger. Il propose des formules simples, toujours appuyées sur la foi, et accompagnées parfois d’objets précis : une croix à porter sur soi, de l’eau bénite, une médaille.
Ce qui rend son œuvre particulière, c’est cette capacité à faire coexister deux univers. D’un côté, la foi chrétienne, centrée sur la prière, le Christ, la Vierge, les saints. De l’autre, des gestes rituels, des symboles, des protections actives, que l’on pourrait croire réservés à d’autres chemins. Il ne cherche pas à faire école. Il ne bâtit pas un système. Il écrit, il bénit, il transmet. Et dans cette simplicité, il ouvre une voie intermédiaire, qui parle autant aux croyants qu’aux chercheurs de sens.
5. Pentacles, croix et médailles comme outils de protection
L’œuvre de l’Abbé Julio ne se limite pas aux prières écrites. Elle s’accompagne d’objets à porter, à placer dans un lieu, à bénir, ou à offrir à quelqu’un dans le besoin. Ces objets prennent la forme de croix gravées, de médailles religieuses et, surtout, de pentacles. Contrairement aux figures ésotériques classiques, ces symboles n’appartiennent pas à un système magique. Ils s’appuient sur la tradition chrétienne, avec des versets bibliques, des noms divins et des figures sacrées. Leur but est simple : protéger, renforcer la foi, repousser le mal.
Bien qu'il n'y ait pas de décompte officiel, il aurait créé environ une quarantaine de pentacles. Il puise dans des sources anciennes : les figures de la tradition chrétienne médiévale, les versets bibliques, les invocations en latin, et des symboles que l’on trouve déjà dans des grimoires plus anciens. Il les adapte à son usage personnel, en y inscrivant des noms divins, et en les plaçant dans des cercles, des croix ou des structures géométriques simples. Ces pentacles n’appellent pas à des forces extérieures, mais s’ancrent dans une foi chrétienne active, incarnée.
Pentacle du succès de l'abbé Julio
Il les imprime sur papier, les bénit parfois, et les distribue avec des instructions précises. Certains sont liés à des intentions précises : protection du foyer, sécurité dans les voyages, santé d’un proche. D’autres sont plus généraux. Leur usage ne relève pas d’un cérémonial compliqué. Il suffit de les porter sur soi, de les garder dans une poche, ou de les placer dans un endroit stratégique du lieu de vie.
Au fil du temps, ces objets se sont transmis bien au-delà de son cercle de fidèles. Aujourd’hui encore, certains sont repris dans des éditions modernes, parfois accompagnés de commentaires ou de réinterprétations. Leur simplicité et leur force symbolique expliquent en partie leur longévité, et leur présence dans les pratiques spirituelles de nombreux anonymes.
La croix joue aussi un rôle central. Elle n’est pas ici un simple objet de foi, mais un instrument actif. L’Abbé Julio propose des croix à dessiner, à tracer sur le corps, à poser sur des objets ou à orienter dans une maison. Certaines sont accompagnées de l’invocation “In manus tuas, Domine” (“Entre tes mains, Seigneur”) ou “Crux sancta sit mihi lux” (“Que la sainte croix soit ma lumière”), inscrites dans un cercle ou un carré. Elles rappellent les croix des bénédictions anciennes, que l’on utilisait pour protéger un foyer ou un enfant.
Quant aux médailles, elles reprennent les formes classiques du catholicisme, mais avec une intention particulière. L’Abbé Julio les conseille dans certains cas précis : protection du voyageur, soutien dans l’épreuve, défense contre les forces contraires. Elles ne s’achètent pas comme des objets de décoration. Elles s’utilisent dans un contexte clair, avec une prière ou une bénédiction. C’est cette combinaison entre l’objet et la parole qui leur donne leur valeur.
Ces outils trouvent leur place dans une foi incarnée. Ils accompagnent la prière, ils la prolongent, ils la rendent visible. Ils n’ont rien de spectaculaire, rien de théâtral. Ils s’inscrivent dans une spiritualité du quotidien, à la fois ancrée dans la tradition chrétienne et ouverte à une pratique plus directe, plus personnelle.
L’Abbé Julio n’a jamais cherché la lumière des autels, ni la reconnaissance des institutions. Il a choisi une voie discrète, directe, au service de celles et ceux que l’Église oubliait trop souvent. Il n’a pas été canonisé, mais il a été adopté, d’une autre manière, par un peuple de croyants silencieux, de pratiquants solitaires, de guérisseurs discrets. En cela, il reste vivant. Non comme une figure figée, mais comme un compagnon possible, pour tous ceux qui refusent de choisir entre la foi et la liberté.
