L’encens fait partie des gestes les plus anciens de l’humanité. On l’allume dans les temples, dans les églises, dans les maisons, sur les autels ou simplement pour parfumer l’air. Bâtons, cônes, cordes, poudres, résines, masala, dhoop,… chaque encens possède sa propre logique, son usage particulier, son histoire. Explications.
1. L'encens en bâtonnets (agarbatti indien)

L’agarbatti, nom courant pour désigner les bâtonnets d’encens en Inde, repose sur une tige fine de bambou, longue d’environ 20 à 30 centimètres, qui sert de support à une pâte aromatique dense. Cette pâte se compose principalement de poudre de bois ou de charbon, d’un liant végétal, d’huiles parfumées et parfois d’épices. Le liant, appelé jigat ou joss powder, est extrait de l’écorce du Litsea glutinosa et de plusieurs essences locales, comme Boswellia serrata.
1.1. Quelle est la composition d'un encens agarbatti ?
La méthode la plus répandue débute par un mélange humide des poudres de bois ou charbon, du liant (gomme arabique ou jigat), d’eau et d’arômes naturels. On obtient une pâte homogène, capable de bien adhérer à la tige de bambou. Cette pâte est ensuite roulée ou extrudée autour de la tige, puis laissée à sécher de un à dix jours, selon les conditions climatiques. Une fois sèche, la pâte peut être plongée dans une solution parfumée (huiles essentielles ou fragrances synthétiques), ce qui ajuste la densité de la fumée et l’intensité olfactive.
1.2. Comment est fabriqué un encens agarbatti ?
Le procédé artisanal demeure vivant : des milliers de femmes préparent la pâte et roulent les bâtonnets à domicile. Certaines étapes, comme l’application de la pâte et le parfumage, sont mécanisées dans des ateliers semi-industrialisés ou entièrement automatisés. Les techniques artisanales reposent sur une sensibilité aux proportions des ingrédients, fondées sur des principes ayurvédiques. L’encens peut tirer ses composants d’éléments classés selon les cinq éléments (éther, eau, terre, feu, air), présents dans des fruits, des racines désécoutées, des fleurs ou des feuilles. L’usage d’arômes naturels comme le santal, l’aloès, la cannelle, le girofle, le patchouli ou les résines (frankincense, myrrhe, halmaddi) permet de composer des profils olfactifs riches.
1.3. Quelle est l'importance de l'encens agarbatti ?
Le Karnataka (sud de l'Inde) occupe depuis longtemps une place de leader : avant 1990, il représentait 90% de la production indienne, suivi du Tamil Nadu qui complète l’essentiel de la fabrication. L’industrie reste organisée autour de petites unités rurales, regroupant près de 10 000 structures majoritairement artisanales, employant entre 500 000 et 800 000 personnes, à 80% des femmes. À ce jour, l’encens en bâtonnets fabriqué en Inde couvre jusqu’à 60% du marché national et est exporté vers plus de 90 pays.
2. L'encens masala

Le masala désigne une pâte aromatique riche, façonnée à la main autour d’une tige de bambou, sans trempage dans des parfums synthétiques. Il repose sur un mélange dense de poudres végétales, d’épices et de résines naturelles.
2.1. Quelle est la composition d'un encens masala ?
Cette pâte intègre différents bois comme le santal et l’aloès, des résines telles que l’oliban (frankincense), la myrrhe et le halmaddi (résine de Ailanthus triphysa), des épices — clou de girofle, cannelle — et parfois des fleurs ou du miel. Le halmaddi joue un rôle essentiel : il lie les autres ingrédients, tout en restant flexible, mais son extraction a été restreinte dans les années 1990. Un autre composant utilisé dans certains mélanges est la poudre dite melnoorva (écorce broyée), qui sèche la pâte et empêche les bâtons de coller. L’ajout d’huiles essentielles (rose, patchouli, lavande) ou d’essences végétales confère aux mélanges des profils olfactifs différenciés.
2.2. Comment est fabriqué un encens masala ?
La préparation suit un schéma similaire à celui des agarbatti, mais avec plus de densité de matières. D’abord, bois, résines et épices sont broyés finement, parfois tamisés jusqu’à 100 mesh pour obtenir une poudre homogène. On ajoute de l’eau, un liant naturel comme la gomme ou le halmaddi, pour obtenir une pâte souple. Cette pâte est ensuite roulée à la main autour de chaque tige, puis laissée à sécher naturellement, jusqu’à plusieurs semaines selon l’humidité et l’épaisseur. L’absence de trempage dans des parfums permet une combustion plus organique, sans solvants. Le résultat se rapproche de la démarche "artisanale" exprimée par les fabricants.
2.3. Quelle sont les particularités de l'encens masala ?
Le masala est considéré comme de qualité supérieure aux bâtonnets parfumés classiques, car il repose uniquement sur des ingrédients naturels. Il produit une fumée grasse, enveloppante, dont les notes évoluent au fil de la combustion. Sa combustion reste stable, longue (30 à 45 minutes), et laisse une trace parfumée durable. Les ingrédients du masala respectent les principes ayurvédiques des cinq éléments (éther, eau, terre, feu, air). Chacun contribue à l’équilibre des parfums et à l’effet recherché . Cette tradition s’appuie sur des textes anciens (Védas, Gandhasara), et sur une classification méticuleuse des plantes depuis l’Antiquité.
3. L'encens dhoop

Le dhoop, bâtonnet sans tige de bambou, repose sur une pâte aromatique compacte. Son nom dérive du sanskrit dhūpam, signifiant « offrande de fumée ». Il renoue avec la tradition ancienne d’utiliser des pâtes épaisses à base de résines et d’herbes.
3.1. Quelle est la composition d'un encens dhoop ?
Les dhoops combinent diverses résines naturelles et aromates. On y trouve de la poudre de bois (santal, aloès), du charbon végétal, des gommes (jigat ou gomme arabique) et des résines comme frankincense (oliban), myrrhe ou sang de dragon. Certaines recettes intègrent huit à dix substances clés (dashangam), épices ou herbes médicinales. Lorsqu’il est dit « humide », le dhoop peut contenir un corps gras, parfois du ghee, qui renforce la combustion.
3.2. Comment est fabriqué un encens dhoop ?
Le processus débute par un broyage fin des composants solides, souvent jusqu’à obtenir une poudre très homogène. On ajoute ensuite des agents liants humides comme naturel ghee ou gomme, jusqu’à former une pâte dense. Celle-ci est moulée à la main ou pressée dans des moules pour obtenir des bâtonnets, des cylindres épais ou des petits cônes. Après un séchage rapide, d’un à deux jours, la forme obtenue est prête à l’emploi.
Sa densité en résines engendre une combustion rapide et une fumée volumineuse . Le parfum est franc, très enveloppant, avec des notes boisées ou épicées selon les ingrédients. Comparé à l’agarbatti, le dhoop brûle plus vite et sans support. Lors de rituels, on place le dhoop souvent dans une coupelle, favorisant une diffusion puissante.
3.3. Quels sont les bienfaits d'un encens dhoop ?
Ce format s’inscrit pleinement dans les rites hindous : on l’allume à l’Aarti ou en début de puja pour purifier l’espace, conjurer les énergies négatives et inviter la divinité. Les traditions bouddhistes tibétaines l’utilisent aussi pour ses propriétés purificatrices. Il accompagne méditation, prière, rituels de nettoyage. La fumée intense symbolise le passage du matériel au spirituel.
4. L'encens en cône
L’encens en cône se compose d’une pâte aromatique identique à celle utilisée pour le dhoop ou le masala, mais façonnée dans un moule pyramidal ou conique. Cette forme compacte permet une combustion maîtrisée et visuelle, offrant une expérience différente des bâtonnets.
4.1. Comment est fabriqué un encens cône ?
Cette pâte est d’abord obtenue en écrasant des matières végétales (bois, résines, épices) puis en les liant avec de l’eau et un agent naturel comme le makko ou la gomme. La pâte est ensuite introduite dans un moule, pressée puis démoulée pour conserver la silhouette voulue. Le processus se termine par un séchage lent, souvent plusieurs jours, afin d’éviter les fissures et garantir une combustion stable.
4.2. Quelle est la qualité d'un encens en cône ?
Les parfums issus des cônes sont riches et rapides à diffuser. Les versions de qualité supérieure contiennent des bois nobles, des résines fines, ou des herbes locales. Les cônes destinés au backflow privilégient un équilibre entre densité, humidité de la pâte, et pureté aromatique.
L’utilisation résulte tant d’un rituel sensoriel que décoratif : on allume l’extrémité, on l’éteint par un souffle léger, puis on dépose le cône sur le support. Rapidement, la fumée commence à descendre dans un flux raffiné.
5. L'encens en spirale (ou coils)

L’encens en spirale, également appelé coil, tire sa forme d’une longue bande d’une pâte aromatique extrudée, puis enroulée sur elle-même. Une fois sèche, cette spirale se consume lentement, avec une combustion régulière et prolongée. Ce format est couramment rencontré dans les temples d’Asie orientale — Chine, Japon, Taïwan, Vietnam — et parfois suspendu à l’extérieur sous les toits.
5.1. Comment est fabriqué en encens spirale ?
La fabrication commence comme pour d’autres formes : on broie finement des ingrédients végétaux, on les mélange avec un liant naturel, puis on obtient une pâte humide. Celle-ci est extrudée en longue bande continue, puis enroulée en spirale, qui est placée à plat ou suspendue pendant le séchage. La longueur et l’épaisseur de la spirale déterminent la durée de combustion. Des spirales modestes brûlent plusieurs heures, tandis que des modèles géants utilisés en temple supportent une combustion jusqu’à 24 heures, voire davantage.
5.2. Quels sont les bienfaits d'un encens spirale ?
Dans les temples chinois, les spirales pendent du plafond, accompagnées de lampions, et brûlent pendant les cérémonies ou les rites du festival des fantômes. En pratique zen, elles servent à repérer la durée de méditation ou de prière. Certaines spirales fonctionnent comme des incense clocks, repères temporels inscrits dans la spirale de fumée. Cette logique de mesure du temps est ancienne, attestée en Chine dès la dynastie Song.
La spirale symbolise le cheminement intérieur ou la montée vers le ciel . Sa fumée accompagne les prières, évoque la présence spirituelle ou purifie l’espace, selon la tradition.
6. L'encens Japonais sans tige
Les encens japonais de type direct-burning sont très fins, fabriqués sans support de bambou, et s’inscrivent dans une tradition millénaire appelée kōdō, ou « la manière d’écouter l’encens ». Leur fabrication met l’accent sur la pureté des matières premières et la finesse de la texture.
6.1. Quelle est la composition d'un encens Japonais ?
La base de ces bâtonnets repose sur des poudres très fines, tamisées idéalement à 80–100 mailles (screen mesh), soit environ 0,15 mm, ce qui garantit une texture lisse et une combustion homogène. Ces poudres incluent du bois de santal, d’aloès ou de bois d'agar de haute qualité, parfois enrichis d’épices douces ou de fleurs séchées. Des liants comme la poudre de makkō (extrait d’arbres japonais) permettent de souder les ingrédients sans perturber l’essence aromatique. Certains fabricants ajoutent également un colorant naturel, selon la tradition locale.
6.2. Comment est fabriqué un encens Japonais ?
La préparation repose sur la réduction de la matière première en fines poudres, mélangées avec de l’eau et un liant. Le mélange est ensuite pressé ou extrudé en bâtonnets extrêmement compacts, sans support. Le façonnage est particulièrement délicat, afin d’éviter les fissures. Le séchage, très lent (parfois plusieurs semaines), se fait à l’abri de la lumière directe et dans des conditions de température stable, afin de préserver la pureté des arômes.
6.3. Rôle du kōdō et expérience sensorielle
L’usage principal de ces encens s’inscrit dans le cadre du kōdō, pratiqué depuis le 14ème siècle. Il s’agit d’une cérémonie raffinée où l’on « écoute » les fragrances diffusées par des copeaux de bois odorant ou des bâtonnets très fins. On distingue par ce terme la dimension esthétique, ludique et sociale du rituel.
Les outils associés (mica-plateau, charbon végétal, coupelle, pince) respectent la tradition du kōdō. Le parfum se découvre de façon très progressive, en sessions d’écoute appelées monkō. On peut aussi jouer au kumikō, un jeu d’identification d’odeurs.
7. L'encens en corde (Tibétain / Népalais)
L’encens en corde, appelé rope incense ou bateko dhoop en népalais, trouve son origine dans les régions himalayennes — Tibet, Népal, Bhoutan. Il se compose d’une pâte d’herbes et résines mélangées avec de l’eau, puis enroulée dans un papier végétal fin (du lokta ou papier de mûrier). Ce mélange est affiné à la main ou à l’aide d’un outil simple pour former un brin épais que l’on tord pour le solidifier avant le séchage.
7.1. Quelle est la composition d'un encens corde ?
La pâte peut contenir plus de 30 ingrédients selon les traditions médicinales tibétaines, parmi lesquels génévrier, rhododendron, cèdre, agarwood, camphre, cardamome, sauge. Dans certains produits, on utilise des herbes médicinales mentionnées dans la médecine rituelle des « Quatre Tantras tibétains », destinées à purifier l’air et équilibrer les humeurs et les éléments du corps. L’usage de papier lokta, récolté dans les zones de haute altitude, garantit un support biodégradable tout en soutenant l’artisanat local.
7.2. Comment est fabriqué un encens corde ?
La fabrication commence par la réduction des herbes en poudre, suivie d’un mélange à l’eau jusqu’à obtenir une pâte malléable. Cette pâte est déposée au centre d’une bandelette de papier, roulée, puis torsadée en cordelettes. Selon les pratiques locales, deux brins sont enroulés ensemble pour plus de solidité. Le séchage se fait à l’air libre, parfois au soleil doux, jusqu’à évaporation complète de l’humidité et stabilisation de la structure.
Les tresses terminées se conservent sans se déformer, ce qui les rend pratiques à transporter, particulièrement adaptées aux pèlerins et aux moines des régions d’altitude.
7.3. Quel est l'usage et le symbolisme d'un encens corde ?
On allume une extrémité de la corde et on souffle la flamme pour la transformer en braise. La combustion lente génère une fumée épaisse, persistante et profondément boisée. Ce format sert à purifier les espaces, offrir dans les monastères bouddhistes, accompagner les méditations et prier pour les ancêtre. Les entreprises artisanales au Népal impliquent souvent des groupes de femmes travaillant de chez elles, contribuant ainsi à la pérennité économique locale.
8. L'encens en poudre
L’encens en poudre correspond à une tradition d’Asie orientale, notamment chinoise et japonaise, qui se distingue par l’usage de poudre aromatique tracée sur un lit de cendres, dans un rituel appelé zhuan xiang (印香 ou 篆香). Cette pratique remonte à la dynastie Tang (618–907), avec une évolution notable sous la dynastie Song (960–1279), lorsque la société lettrée a introduit des motifs raffinés, y compris des sceaux ou spirales représentant des poèmes et des symboles.
8.1. Comment est fabriqué un encens en poudre ?
La poudre utilisée est identique à celle des bâtonnets, cônes ou spirales, fabriquée à partir de bois parfumés, gommes et résines, fleurs, épices et herbes. Elle ne contient pas de liant ajout, car elle ne doit pas brûler de façon autonome, mais doit simplement se consumer au contact d’un lit formé. Elle peut être composée de bois de santal, d’aloès, d’oliban, de camphre, ou d’ingrédients médicinaux selon la tradition.
8.2. Comment est mis en forme un encens en poudre ?
Le rituel repose d’abord sur un support non combustible : un brûleur rempli de cendres tamisées. On place un moule ou un sceau sur la surface, on y dépose délicatement la poudre, puis on retire le moule. Il ne reste alors que le motif sur la cendre. L’allumage se fait par le bord du motif ; la combustion se propage lentement, dévoilant le dessin et laissant s’élever un nuage de fumée dense et parfumée.
8.3. Quelle est la symbolique d'un encens en poudre ?
Le zhuan xiang répond à une recherche de ralentissement et de présence à l’instant : le geste devient méditatif, comme la calligraphie ou la cérémonie du thé. Dans la dynastie Song, la création de sceaux renvoyait à la poésie, à l’esthétique, à l’élévation des sens. Les cercles de lettrés se rassemblaient pour observer et partager ces créations de fumée argentée durant les salons lettrés.
9. L'encens en résine
Les résines d’encens correspondent aux substances exsudées des arbres. Parmi les plus connues figurent l’oliban (ou frankincense), la myrrhe, le benjoin, le copal et le sang-dragon. Ces matériaux ne brûlent pas d’eux-mêmes ; ils requièrent un support chauffant, généralement un charbon incandescent ou une plaque dédiée.
9.1. Quelle est l'histoire de l'encens en résine ?
L’usage de la résine d’encens remonte à l’Antiquité. Elle servait dans les rituels égyptiens, sumériens, assyriens ou cananéens, en offrande aux divinités, pour purifier l’air et marquer la présence du sacré. Dans le christianisme, elle accompagne les liturgies, les processions et les baptêmes. Dans le bouddhisme, cette résine est dispersée sur les autels ou dans les monastères lors de cérémonies.
9.2. Quelle est la symbolique d'un encens résine ?
Ces résines agissent comme un lien entre le visible et l’invisible. En Égypte, les prêtres utilisaient l’encens pour créer un écran odorant entre le temple et l’extérieur. En chrétienté, le rituel de l’encensoir évoque les prières des fidèles montant vers le ciel. Dans les traditions orientales, ces résines accompagnent les mariages, les funérailles, les traités, toute occasion solennelle. En Asie du Sud-Est, on les brûle pour attirer les esprits protecteurs.