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Le sabbat de Samhain

Le sabbat de Samhain

AU SOMMAIRE...

 

Origines celtiques de Samhain
Rituels et significations dans l’Irlande ancienne et les pays celtiques
Représentations mythologiques et médiévales
Rôle dans le calendrier agraire et rituel celtique
Continuité et évolutions après la christianisation
Interprétations modernes de Samhain
De Samhain à Halloween : le lien avec les cultures anglo-saxonnes


Samhain est une ancienne fête celtique marquant la fin de la saison des récoltes et le début de la saison sombre de l'année. Célébrée autour du 1er novembre, cette célébration originaire des peuples gaéliques symbolisait le passage de l'été à l'hiver et occupait une place centrale dans le calendrier rituel celtique. La tradition affirme qu'à Samhain, la frontière entre le monde des humains et l'« Autre Monde » s'ouvrait, laissant déferler les forces surnaturelles parmi les vivants. Ce moment liminaire de « fin d'année » offrait atmosphère particulière, propice aux récits légendaires et aux rassemblements communautaires. Explication.

Origines celtiques de Samhain

Le terme Samhain (orthographié Samain dans les sources plus anciennes) signifie « fin de l’été » dans la langue gaélique. Il désigne à la fois le festival célébré à la période du 1er novembre et le premier mois de la saison hivernale dans le calendrier celtique. Cette fête puise ses origines dans la protohistoire celtique : elle était célébrée par les Gaëls d’Irlande et de l’actuelle Écosse, ainsi que par les Celtes insulaires de l’île de Man, et trouve des équivalents chez les Celtes continentaux. Samhain était l'une des quatre grandes fêtes qui rythmaient l'année celtique, aux côtés d'Imbolc (février), de Beltane (mai) et de Lughnasa (août). Selon les spécialistes, elle constituait le point de départ du cycle annuel celtique – un véritable « Nouvel An » symbolique marquant la transition entre l’ancienne et la nouvelle année. En Irlande médiévale, les textes emploient d’ailleurs couramment l’expression tánai na bliana (« la fin de l’année ») pour désigner cette période de Samhain, témoignant de son importance comme charnière temporelle.

Les peuples celtes divisaient en effet l'année en deux grandes saisons contrastées : la saison claire et chaude (printemps et été) et la saison sombre et froide (automne et hiver). La nuit précédant le 1er novembre, veille de Samhain, marquait ainsi la clôture de la belle saison et l'entrée dans l'hiver. Dans les langues celtiques brittoniques, le terme est resté transparent : en breton, novembre se dit miz du (« mois noir ») et kala-goañv désigne le calende (début) de l’hiver. De même, les Gallois célébraient Calan Gaeaf – littéralement la « calende d’hiver » – à la même date, et ce jour était considéré comme la fin de l’ancienne année dans leurs traditions locales.

Bien que nous ne disposions pas de textes celtiques préchrétiens pour en attester directement, des sources archéologiques et linguistiques confirment la profondeur historique de Samhain. Le calendrier de Coligny, un calendrier gaulois du 2ème siècle retrouvé en Gaule, mentionne un mois nommé Samonios, étroitement lié à Samhain. Ce calendrier atteste même d'une fête appelée Trinox Samoni ou « Trois Nuits de Samonios », correspondant aux trois nuits marquant le début de cette période hivernale et du nouveau cycle annuel. Ainsi, chez les Gaulois comme chez les Gaëls, l'année semblait commencer aux environs de début novembre, confirmant l'ancienneté de ce jalon saisonnier. On peut donc situer les origines de Samhain dans le fonds culturel commun des anciens Celtes, pour lesquels cette transition automnale était un repère majeur, tant agricole que spirituel.

Rituels et significations dans l’Irlande ancienne et les pays celtiques

Dans l’Irlande préchrétienne, Samhain donnait lieu à des rituels collectifs et à des célébrations marquant la fin de la période des moissons. C’était avant tout une grande fête agricole et sociale : à cette date, on considérait que tous les travaux des champs devaient être terminés et les provisions d’hiver mises en sûreté. Les communautés procédaient à l’abattage de certains animaux d’élevage, en particulier les bovins et les porcs, dont on conservait la viande salée ou fumée pour subsister durant la saison froide. Les troupeaux qui avaient paissé sur les hauteurs pendant l'été étaient redescendus dans les enclos des fermes à Samhain. Ce rassemblement du bétail s’accompagnait de festins abondants où l’on consommait notamment du porc, viande étroitement associée à cette fête. Les textes indiquent en effet que le sanglier occupait une place centrale dans les banquets de Samhain : les rois celtes exigeaient à cette occasion des tributs de porcs de la part de leurs vassaux, et l’offrande rituelle d’un porcelet de Samhain (bamb samna en vieil irlandais) était attendue lors de ces festins communautaires. Cette importance du cochon rappelle le rôle sacrificiel de l’animal et son lien symbolique avec l’hiver naissant dans la cosmologie celtique.

Un élément marquant des célébrations de Samhain était l’allumage de feux ritualisés. De grands feux de joie (bone fires ou « feux d’os ») étaient traditionnellement allumés sur des hauteurs sacrées, autour desquels se rassemblaient les familles et les clans. En Irlande, la colline de Tlachtgha (aujourd’hui Hill of Ward, dans le comté de Meath) était réputée pour son feu de Samhain allumé par les druides, dont la lueur servait ensuite à embraser d’autres brasiers, notamment sur la colline voisine de Tara. Ce réseau de feux symbolisait l’unité du royaume et la protection de la communauté pour l’année à venir. Des traditions comparables existaient dans l’ensemble des pays celtiques insulaires : en pays de Galles, on allumait également des feux à Nos Calan Gaeaf et l’on craignait de s’attarder dehors une fois les flammes retombées, de peur de voir surgir l’effrayante truie noire sans queue (yr Hwch Ddu Gwta) rôdant pour capturer le dernier qui rentrerait chez lui. De façon générale, la nuit de Samhain était considérée comme particulièrement propice aux phénomènes surnaturels et l’on redoutait la présence d’esprits ou d’entités malfaisantes rôdant dans l’obscurité hivernale.

Marquant la fin d’un cycle et le début d’un autre, cette fête était un temps « hors du temps », une sorte d’interstice où le voile séparant le monde des hommes et celui des esprits devenait mince. Les légendes rapportent que durant la nuit de Samhain, les forces de l’Autre Monde – dieux, fées (aos sí) et âmes des défunts – pouvaient se mêler librement aux vivants. Il était donc d’usage de prendre diverses précautions rituelles : on laissait à l’intention des esprits des offrandes de nourriture et de boisson afin de s’attirer leurs bonnes grâces et de les apaiser. Dans les foyers irlandais, il était coutume de dresser une table pour les ancêtres défunts, en réservant une place et un repas pour ces visiteurs invisibles revenus le temps d’une nuit. Parallèlement, les festivités populaires incluaient des déguisements et des mascarades : se grimer en créature effrayante ou en fantôme permettait de tromper les esprits errants, ou du moins de rire de leurs frasques. Ce que nous appelons aujourd’hui le mumming ou le guising – c’est-à-dire le fait de parcourir les maisons déguisé en échange de friandises – était déjà pratiqué lors des veillées de Samhain, et peut-être hérité d’usages anciens. Enfin, Samhain était un moment privilégié pour les arts divinatoires et les prédictions : on pratiquait divers jeux de voyance pour tenter de connaître les présages de la future année, notamment en interprétant la forme des pelures de pommes ou en observant le comportement des flammes et des braises dans l’âtre familial. Loin d'être une fête purement sinistre, Samhain mêlait ainsi la convivialité des dernières réjouissances automnales à une conscience aigüe des mystères de l'invisible et du cycle vie-mort-renouveau.

Représentations mythologiques et médiévales

Les récits mythologiques médiévaux de l’Irlande, rédigés à partir du 9ème siècle par des moines, ont conservé de nombreux échos de l’importance de Samhain dans la culture celtique ancienne. Ces textes situent volontiers des événements majeurs à l’époque de Samhain, soulignant le caractère critique et sacré de cette date. D’après le Cycle d’Ulster, le roi suprême d’Irlande convoquait à Samhain une grande assemblée triennale à Tara, lors d’un festin solennel réunissant tous les nobles et hommes de savoir du royaume. Cet Oenach (assemblée festive) servait à proclamer les lois, à renouveler les règlements et à valider les annales du pays, ce qui montre que Samhain était perçu comme le moment adéquat pour réaffirmer l’ordre social et juridique. La même nuit, selon la légende, les forces du Sídh mettaient toutefois à l’épreuve l’autorité des rois : on raconte qu’à chaque veille de Samhain, durant vingt-trois ans, le mystérieux Aillen mac Midna – un être des Tuatha Dé Danann – sortait de la colline féerique pour souffler un feu magique et incendier la capitale de Tara, jusqu’à ce que le jeune héros Fionn Mac Cumhaill parvienne enfin à le vaincre. Ce mythe illustre de manière frappante la dualité de Samhain : moment de rassemblement politique et de renforcement des lois, il est aussi un temps de chaos potentiel où les puissances surnaturelles peuvent renverser l’ordre établi.

D’autres épisodes mythiques soulignent le motif de Samhain comme point de bascule entre deux mondes ou deux règnes. Ainsi, selon le Livre des Conquêtes (Lebor Gabála Érenn), les Fomoires – des êtres monstrueux associés aux ténèbres et au désordre – exigeaient chaque année un tribut à Samhain de la part des Irlandais, ce qui finit par déclencher la grande bataille de Mag Tured. La deuxième bataille de Mag Tured, affrontement légendaire entre les dieux civilisationnels (Tuatha Dé Danann) et les Fomoires oppresseurs, est en effet située à la date du 1er novembre dans les textes, symbolisant la victoire de la lumière sur les forces chaotiques à l’orée de l’hiver. De même, un roi archaïque comme Tigernmas aurait trouvé la mort avec des centaines de ses sujets en vénérant l’idole du dieu Cromm Cruach lors d’une nuit de Samhain, ce qui fut interprété comme le signe de la désapprobation divine envers d’anciens cultes sanglants. Le héros Cúchulainn, figure centrale du cycle d’Ulster, subit quant à lui une malédiction durant un « année de faiblesse » qui commence à Samhain et s’achève exactement un an plus tard, à la Samhain suivante, marquant ensuite le dénouement tragique de sa vie. La récurrence de Samhain dans ces récits – comme théâtre de morts royales, de batailles décisives, de rencontres fantastiques ou de catastrophes – montre bien que les rédacteurs médiévaux percevaient cette date comme exceptionnelle, propice aux bouleversements du destin.

Les anciens textes légaux et la littérature d’instruction (les Brehon Laws irlandaises) confirment également le statut particulier de Samhain dans l’organisation sociale. Samhain marquait l’échéance de nombreuses obligations annuelles : c’était, tout comme les calendes chez les Romains, la date à laquelle on réglait les rentes et les loyers, où les travailleurs agricoles recevaient leur paie et où les contrats d’embauche arrivaient à terme pour être renégociés. Des foires saisonnières se tenaient à ce moment, facilitant le commerce et le renouvellement des engagements : on sait qu’il existait en Irlande des foires de la Toussaint (issue de Samhain) comme la Snap-Apple Fair de Killmallock, ou encore les foires de Drogheda et d’Ardagh, et en Écosse celle de Calton Hill. En Bretagne, on trouve mention de foires dites de kalan-goañv (calende d’hiver) à Carhaix ou Ploëzal jusqu’au 19ème siècle, souvenir possible d’une tradition très ancienne adaptée au contexte chrétien. Certaines lois médiévales irlandaises encadraient même explicitement les festivités de Samhain : un texte juridique connu sous le nom de Dliged Ḟlatha évoque le droit du seigneur de recevoir l’hospitalité chez ses vassaux lors du festin de Samhain, et prévoit de lourdes amendes si le banquet offert n’était pas à la hauteur. Ce même texte prévient des dangers liés aux comportements lors de ces veillées, signe que les tensions pouvaient être vives pendant la fête – allumer inopinément une bougie pendant la nuit de Samhain dans la maison où dort un seigneur pouvait être interprété comme une tentative d’attentat ou un acte de sorcellerie, tant l’atmosphère était chargée de crainte et de suspicion. Il apparaît à travers ces témoignages juridiques que Samhain était une fête d’obligation sociale, durant laquelle hiérarchie et liens de dépendance étaient ritualisés par le biais du banquet, du tribut et de l’hospitalité, tout en restant un moment à part où l’inquiétude face à l’inconnu pouvait gagner les esprits.

Rôle dans le calendrier agraire et rituel celtique

Samhain occupait une place pivot dans le calendrier agraire des sociétés celtiques. Comme point de transition entre la saison claire et la saison sombre, il constituait un repère temporel fondamental pour les communautés paysannes. Jusqu’à l’époque pré-industrielle, en Irlande comme dans les régions de culture celtique, le 1er novembre demeura un jalon annuel pour la vie rurale. Il marquait la fin définitive des travaux d’extérieur : les dernières récoltes de céréales et de fruits devaient être rentrées, les foins engrangés, et les semailles d’automne terminées autour de cette date. On constituait aussi les réserves de tourbe ou de bois de chauffage pour l’hiver lors des jours entourant Samhain. Ainsi, toute l’économie agraire s’orientait en fonction de ce basculement de saison : ce qui n’avait pu être accompli avant Samhain était considéré comme perdu pour l’année écoulée. Inversement, le temps de Samhain ouvrait le cycle nouveau des travaux hivernaux et préparatoires (réparation des outils, planification des cultures à venir,...), d’où son caractère de « nouvel an agricole ».

Du point de vue rituel, Samhain s’inscrivait dans le cycle annuel comme l’un des quatre temps forts de la religion et de la société celtiques. Avec Imbolc, Beltane et Lughnasa, il formait la quadrature des grandes fêtes saisonnières, liées aux cycles pastoraux et agricoles. Parmi ces quatre fêtes, Samhain et Beltane (au 1er mai, début de la saison claire) apparaissent comme les plus cruciales, car elles divisent l’année en deux moitiés contrastées. Beltane marquait la mise à l’herbe du bétail au printemps, tandis que Samhain correspondait au retour du bétail à l’abri en automne – ces deux moments assurant la survie des troupeaux et donc la prospérité de la communauté. Il n’est pas anodin que les deux fêtes aient été associées à des rituels du feu : tout comme on faisait passer les animaux entre deux feux purificateurs à Beltane, on allumait à Samhain des brasiers protecteurs pour entamer l’hiver sous de bons auspices. Certaines théories suggèrent même qu’en Irlande, tous les foyers domestiques devaient être éteints et rallumés à partir du feu sacré allumé à Samhain par les druides, de façon à renouveler symboliquement la flamme de chaque foyer pour la nouvelle année – pratique que l’on retrouve attestée pour la fête de Saint-Jean mais hypothétique pour Samhain.

Dans le calendrier celtique, Samhain revêtait enfin une dimension prophétique et divinatoire liée au changement de cycle. Après avoir évalué les rendements de l’année écoulée à la fin de l’automne, les agriculteurs tournaient leur regard vers l’avenir à l’occasion de Samhain. De nombreuses pratiques consistaient à tenter de prévoir le climat de l’hiver ou de l’année à venir : on observait la direction du vent à minuit le soir de Samhain, censée indiquer le quadrant dominant pour les mois suivants. La clarté ou l’opacité de la lune à Samhain passait également pour un signe de météo clémente ou pluvieuse dans les semaines suivantes. Ces pratiques divinatoires témoignent de l’angoisse que suscitait l’entrée dans la saison froide, période de disette et de vulnérabilité, et de la volonté rituelle de conjurer l’incertitude du futur au moment charnière de l’année. Samhain, en tant que jalon calendaire, n’était donc pas seulement une fête religieuse ou sociale : c’était un pivot autour duquel s’articulaient le temps du labeur agricole, la redistribution des richesses (foires, tributs) et l’espoir renouvelé d’une année prospère.

Continuité et évolutions après la christianisation

Avec la christianisation progressive des terres celtiques (du 5ème au 8ème siècle selon les régions), la fête païenne de Samhain a connu des transformations, sans pour autant disparaître entièrement des pratiques populaires. L’Église, consciente de l'ancrage de cette célébration automnale, a fini par intégrer à son calendrier liturgique une fête majeure à la même date : en 835, le pape Grégoire IV a officiellement fixé la fête de Toussaint au 1er novembre pour l’Occident chrétien. Ce choix n’était vraisemblablement pas un hasard et peut avoir été influencé par les coutumes irlandaises ou galloises, où le 1er novembre était déjà un temps fort de célébration. La Toussaint (fête de tous les saints) fut bientôt suivie, à partir du 10ème siècle, par la commémoration de tous les fidèles défunts le 2 novembre (Jour des Morts). Ce diptyque liturgique des 1ᵉʳ et 2 novembre est venu se superposer aux anciennes croyances de Samhain, redéfinissant partiellement le sens de la fête : désormais, le début de novembre était consacré à honorer les saints du Paradis puis les âmes des trépassés au Purgatoire, dans une perspective chrétienne de prière et de souvenir.

Malgré cette christianisation du calendrier, de nombreuses pratiques issues de Samhain ont perduré, tolérées ou réinterprétées par l’Église locale. En Irlande, en Écosse ou en Bretagne, on a longtemps continué à allumer des feux à la veille de la Toussaint ou le jour même, bien que l’on ait parfois justifié ces brasiers par des motifs chrétiens (comme éclairer les âmes errantes ou purifier l’air des épidémies en automne). Jusqu’au 20ème siècle, il n’était pas rare de voir d’immenses feux de joie embraser les collines lors de la nuit du 31 octobre au 1er novembre. À Dublin, en 1970 encore, la police dut intervenir pour éteindre de nombreux brasiers allumés par la population locale à l’occasion de Halloween. De même, la tradition des jeux et divinations du soir de la veille de la Toussaint s’est maintenue tardivement : au 19ème siècle, les familles irlandaises et écossaises organisaient la nuit d’« Halloween » des jeux tels que le bobbing for apples (attraper des pommes flottant dans l’eau avec la bouche) ou examinaient la forme des blancs d’œuf versés dans l’eau, afin de prédire mariages et événements à venir. Ces coutumes de veille festive, clairement héritées de Samhain, étaient pratiquées dans un cadre désormais chrétien, mais leur intention – conjurer l’incertitude de l’avenir et apprivoiser les peurs – restait similaire aux anciens rites païens.

En terre bretonne, où l’empreinte celtique cohabite depuis longtemps avec un catholicisme fervent, on observe un phénomène de double couche culturelle. Les 1er et 2 novembre (Kala-Goañv en breton) formaient un temps unifié de célébration : on y mêlait le recueillement religieux et des réminiscences de croyances anciennes. Le Jour des Morts (2 novembre) était marqué par des pratiques solennelles – veillées funéraires, prières pour les noyés et processions aux cimetières – traduisant une tonalité de gravité dans la Bretagne traditionnelle. En revanche, la nuit du 31 octobre conservait un caractère plus léger et ludique : on se rassemblait en famille autour de la cheminée, on racontait des histoires et on jouait à des jeux d’intérieur, perpétuant le souvenir des veillées de Samhain d’antan. La peur des esprits rôdant dans l’obscurité poussait en effet les gens à rester chez eux cette nuit-là, la chaleur du foyer remplaçant les feux de colline d’autrefois. Ainsi, même transformée par la christianisation, la période de la Toussaint en pays celtiques a continué d’abriter, en filigrane, les pratiques et l’esprit de Samhain : communalité, mémoire des défunts, divertissements et rites de protection se sont maintenus, sous une forme édulcorée ou syncrétique. Jusqu’au 19ème siècle en Irlande, on appelait d'ailleurs couramment Oíche Shamhna (« nuit de Samhain ») la veille de la Toussaint, preuve que la fête ancienne restait vivante dans la conscience populaire malgré le vernis chrétien.

Interprétations modernes de Samhain

D’un point de vue symbolique, les historiens voient en Samhain un rite de passage et d’inversion, comparable à d’autres fêtes marquant la nouvelle année dans diverses cultures. La notion de liminalité (état de seuil) est employée pour caractériser Samhain : comme la nuit qui n’appartient à ni l’ancienne ni la nouvelle année, Samhain créait un entre-deux propice à la remise en question des normes et à la communication avec l’invisible. Les récits de portes des sídhe (forts féeriques) qui s’ouvrent et d’êtres envahissant le monde terrestre sont interprétés sérieusement par les anthropologues comme la traduction mythologique de cette liminalité temporelle. En d’autres termes, Samhain était un exutoire ritualisé, où l’on pouvait évoquer tout ce qui était habituellement refoulé – la mort, le chaos, les esprits – dans un contexte festif et contrôlé, pour mieux repartir du bon pied le lendemain.

Il convient également de noter que Samhain a connu un regain d’intérêt dans le cadre des mouvements néo-païens actuels (comme la Wicca ou le druidisme contemporain), qui tentent de recréer ou de réinterpréter les anciennes fêtes celtiques. Ces groupes célèbrent Samhain chaque 31 octobre comme une de leurs huit fêtes majeures.

De Samhain à Halloween : le lien avec les cultures anglo-saxonnes

Pour conclure, il est intéressant de retracer comment Samhain a donné naissance à l’Halloween moderne dans les pays anglo-saxons. Le terme Halloween est une contraction de All Hallows’ Eve, qui signifie en anglais « veille de la Toussaint ». À l’origine purement chrétienne par son nom, Halloween a cependant hérité de nombreuses coutumes directement issues de Samhain, surtout à travers le folklore irlandais et écossais. Durant des siècles, les communautés gaéliques ont continué à célébrer la nuit du 31 octobre par des feux, des déguisements et des quêtes de porte-en-porte, perpétuant ainsi Oíche Shamhna sous un vernis chrétien. Au 19ème siècle, lors des grandes vagues d’émigration irlandaise et écossaise vers l’Amérique du Nord, ces traditions ont traversé l’Atlantique. La plupart des coutumes américaines d’Halloween – les lanternes grimaçantes, le trick-or-treat (quête aux bonbons), les déguisements macabres – proviennent en droite ligne des pratiques populaires des immigrants gaéliques. La célèbre lanterne d’Halloween, le Jack-o’-lantern, était à l’origine un navet évidé dans lequel on plaçait une bougie pour effrayer les passants ou éloigner les esprits malins pendant la nuit de Samhain. En Irlande rurale, on sculptait traditionnellement ces « navets-fantômes » et on les disposait près des maisons le 31 octobre afin d’éclairer (ou d’effrayer) les voyageurs attardés. Ce n’est qu’aux États-Unis, où les courges étaient plus abondantes, que le potiron remplaça le navet, donnant l’emblème orange que l’on connaît aujourd’hui.

Une fois implanté en Amérique du Nord, Halloween a évolué au contact de la culture urbaine et de la société de consommation, devenant dès le début du 20ème siècle une fête profane prisée des enfants comme des adultes. Les défilés costumés, les jeux d’épouvante et la thématique ludique de la peur se sont développés, parfois déconnectés de leurs racines celtiques. Cependant, on retrouve en filigrane l’héritage de Samhain : l’idée d’une nuit où les rôles sociaux s’inversent (les enfants règnent dans les rues, les monstres deviennent familiers), où l’on apprivoise la mort par le rire et le déguisement, et où la communauté se soude autour de rituels festifs. Ironiquement, après avoir prospéré outre-Atlantique, Halloween est revenu en Europe dans la dernière décennie du 20ème siècle, véhiculé par la mondialisation culturelle. En Irlande et en Grande-Bretagne, il n’avait jamais totalement disparu et a donc retrouvé une vigueur nouvelle, tandis que dans des pays comme ici en France, il a été réintroduit comme une fête commerciale importée. Néanmoins, dans les régions celtiques, Halloween reste intimement lié à Samhain dans la conscience populaire : en Irlande, on emploie encore couramment le terme Samhain pour parler de la saison d’Halloween, et jusque dans les années 1800 les folkloristes anglophones utilisaient le mot Samhain pour désigner l’ensemble des coutumes gaéliques de la veille de la Toussaint.

Halloween peut être vu comme la version moderne, laïcisée et internationalisée de l’antique Samhain. Ce qui n’était au départ qu’une fête marquant le tournant de l’année agricole dans un coin de l’Europe préchrétienne est devenu, au fil des siècles et des migrations, un phénomène culturel global. Pourtant, malgré les transformations, les liens profonds demeurent visibles : que ce soit la joie des enfants allant quêter des friandises (écho lointain des offrandes de Samhain), la lueur des citrouilles illuminant la nuit (avatar des anciens feux et lanternes celtiques) ou l’engouement persistant pour les histoires de fantômes en cette fin octobre, tout cela nous ramène à l’héritage de Samhain. Connaître l’histoire et le culte de Samhain permet ainsi de redonner tout son sens à Halloween, en révélant sous le masque souriant de la citrouille la vieille âme celtique qui y brûle encore.

Sources :

  • Daniel Giraudon – « Samhain, Halloween : La nuit des jeux et des esprits en Bretagne et pays celtiques », ArMen n°174, 2009.

  • John Biggins – « Of Swine and Samain: Aspects of Early Irish Samain Lore and Law », blog The Brehon Lawyer, 31 octobre 2021.

  • Encyclopædia Britannica, article « Samhain » (dernière mise à jour 12 sept. 2025).

  • Wikipédia (en anglais) – page « Samhain » (consultée en septembre 2025).

  • Wikipédia (en français) – page « Calendrier de Coligny » (consultée en septembre 2025)

  • Lowri Jenkins – « Halloween Traditions » (blog du Musée national du Pays de Galles), 27 oct. 2020.

  • National Museum of Ireland – Ghost Turnip (notice d’objet folklorique), consulté en 2025.

  • Françoise Le Roux & Christian-J. Guyonvarc’h – Les Fêtes celtiques, Ouest-France Université, 1995 (références indirectes).

Olivier d’Aeternum
Par Olivier d’Aeternum

Passionné des traditions ésotériques et de l'histoire de l'occulte des premières civilisations jusqu'au 18ème siècle, je partage quelques articles sur ces sujets. Je suis également co-créateur du magasin ésotérique en ligne Aeternum.

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