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Cornelius Agrippa, de son nom complet Henri-Corneille Agrippa de Nettesheim, faite partie des figures qui ont marquées l'ésotérisme et l'occultisme de façon indélébile. Né en Allemagne au 15ème siècle, il vécu la majeure partie de sa vie en France où il enseigna ses savoirs au sein d'universités et de cercles.
À l'aube de la Renaissance, un mouvement de réveil intellectuel balaie l'Europe, redécouvrant les textes antiques et poussant les frontières de la science, de l'art, et de la pensée philosophique. C'est une époque marquée par une soif de savoir, où le mystique et le scientifique s'entremêlent souvent dans une quête effrénée de compréhension du monde visible et invisible.
Agrippa est à l'origine de nombreux travaux occultes mais son œuvre majeure reste De Occulta Philosophia publié en 1533 qui cherche à établir un système cohérent qui relie le cosmos, l'homme et le divin.
1. Une jeunesse plongée dans les savoirs
Heinrich Cornelius Agrippa naît en 1486 à Cologne, une ville qui, à l'époque, est un véritable carrefour culturel et intellectuel de l'Empire romain germanique. Cette métropole rhénane, riche en bibliothèques et en universités, offre à Agrippa un terrain fertile pour son éducation initiale. Dès son plus jeune âge, il démontre un vif intérêt pour les disciplines classiques, s'immergeant dans les écrits de la Grèce et de Rome, ce qui constitue la base de son éducation humaniste.
À l'âge de quinze ans, Agrippa entre à l'Université de Cologne, une institution dominée par les enseignements scolastiques mais également influencée par les premiers vents de l'humanisme qui commencent à souffler sur l'Europe. Là, il se plonge dans l'étude du droit, de la théologie, et de la philosophie, tout en s'intéressant également aux sciences occultes qui gagnent en popularité. C'est durant ces années universitaires qu'il commence à explorer sérieusement l'hermétisme, un courant de pensée qui cherche à réconcilier les connaissances mystiques avec les doctrines chrétiennes, en s'appuyant sur des figures comme Hermès Trismégiste.
Agrippa était polyglotte, maîtrisant l'allemand, le français, l'italien, l'espagnol, l'anglais, le latin, le grec et l'hébreu. Ses compétences s'étendaient à un éventail impressionnant de disciplines, incluant l'astrologie, la magie, les lettres classiques, la médecine, le droit, la théologie, la philosophie, ainsi que l'art militaire et la poliorcétique (l'art et les techniques d'assiéger les villes). Il possédait également une expertise en explosifs, en kabbale chrétienne, en exégèse (étude approfondie de textes), en diplomatie, en cryptographie, en espionnage et en pédagogie.
2. Une riche carrière auprès des puissants
Après avoir achevé ses études à l'Université de Cologne, Agrippa s'engage dans une carrière militaire, servant dans l'armée de l'empereur Maximilien Ier. Cela lui permit de voyager à travers l'Europe, où il continua d'étudier et de recueillir divers savoirs ésotériques et philosophiques. Sa capacité à naviguer entre les mondes militaire et académique dès son plus jeune âge témoigne de sa polyvalence et de son adaptabilité. Il écrivit ainsi l'un de ses premiers ouvrages, De la noblesse et préexcellence du sexe féminin, qui formalise toute la puissance divine de la féminité sacrée.
Agrippa entra par la suite au service de plusieurs cours nobles européennes. Il fut notamment appelé à Metz, où il occupa le poste de conseiller et de conférencier en sciences occultes et philosophie. Ses compétences en diplomatie lui valurent aussi des missions spéciales, comme celle où il fut envoyé par Marguerite d'Autriche, la régente des Pays-Bas, pour aider à négocier des questions politiques et intellectuelles.
Outre ses fonctions militaires et diplomatiques, Agrippa mena une carrière d'enseignant et de chercheur. Dès 1509, il occupa des postes académiques à l'Université de Dôle en France (fondée par une bulle papale de Martin V, elle était principalement orientée vers l’enseignement du droit et elle jouissait d'une certaine renommée en raison de la qualité de son enseignement juridique). Il enseigna la théologie, malgré les controverses que certaines de ses idées suscitèrent parmi ses pairs et les autorités ecclésiastiques. Ses enseignements à Dôle furent interrompus en raison de l'opposition des théologiens locaux et les enseigne d'Aggripa qualifié de sulfureux, ce qui l'obligea à quitter la ville.
En effet, son approche intellectuelle, qui cherchait à réconcilier diverses formes de connaissances ésotériques avec les enseignements chrétiens, et qui comprenaient notamment l'occultisme, la cabale, la magie ou l'astrologie, étaient souvent vus avec suspicion par l'Église catholique car ils pouvaient être interprétés comme des formes de défi à la vision chrétienne du monde.
D'ailleurs pour l'anecdote, Agrippa entra à l'université de Dole en Juin 1509 et il en fut expulsé en Mars 1509. Il ne s'agit pas d'une erreur de frappe, mais cette époque était régie par le calendrier pascal et non grégorien comme aujourd'hui, ce qui signifie que l'année débutait à Pâques.
3. Des œuvres avant-gardistes et très critiques
3.1. De Occulta Philosophia
De Occulta Philosophia Libri Tres, souvent abrégé en De Occulta Philosophia, est l'œuvre la plus célèbre de Cornelius Agrippa. Composée de trois livres, cette vaste encyclopédie de la magie et de l'occultisme fut rédigée au début du 16ème siècle mais publiée dans sa forme complète seulement en 1533. Elle est structurée comme suit :
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Magie Naturelle : ce livre traite de la magie qui interagit avec le monde naturel, explorant les propriétés des plantes, des pierres, des animaux et d'autres éléments naturels. Agrippa y discute comment les forces naturelles peuvent être utilisées pour produire des effets magiques à travers des symboles et des correspondances.
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Magie Céleste : le deuxième livre se concentre sur l'astrologie et l'impact des corps célestes sur le monde terrestre. Agrippa examine la manière dont les configurations astrologiques influencent les individus et comment ces forces peuvent être manipulées à travers la magie talismanique.
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Magie Cérémonielle : le dernier livre aborde la magie la plus haute, celle qui implique des rituels, des invocations et la manipulation de forces spirituelles et divines, notamment l'utilisation des noms sacrés et des hiérarchies angéliques.
L'ouvrage cherche à établir une synthèse entre la pratique magique et la théologie chrétienne, arguant que la vraie magie, fondée sur la sagesse et la compréhension des lois de la nature, est non seulement licite mais aussi une manifestation de la piété divine. De Occulta Philosophia a eu une influence considérable sur le développement de l'ésotérisme occidental, inspirant de nombreux penseurs et praticiens occultes dans les siècles suivants.
Il faut toutefois savoir qu'il y ajouta quelques années plus tard une note remettant en partie en cause ses propres certitude magiques (notamment certaines figures occultes comme Hermès Trismégiste ou la démonologie par exemple) mais confirmant que la magie naturelle est bien réelle.
3.2. De nobilitate et praecellentia foeminei sexus
Publié en 1529, De nobilitate et praecellentia foeminei sexus (De la noblesse et préexcellence du sexe féminin) est un ouvrage dans lequel Heinrich Cornelius Agrippa développe une argumentation avant-gardiste concernant la valeur et le rôle des femmes dans la société. Ce traité peut être considéré comme l’un des premiers écrits féministes de l'histoire moderne.
Agrippa y défend l'idée que les femmes ne sont pas inférieures aux hommes mais possèdent au contraire des qualités intellectuelles et morales qui pourraient même les rendre supérieures. Il utilise une variété de références culturelles, historiques, et philosophiques pour étayer ses points de vue, citant des exemples de femmes célèbres de l'histoire, des figures mythologiques, et des saintes pour montrer leur capacité à égaler ou surpasser les hommes dans de nombreux domaines.
L'œuvre conteste les stéréotypes de genre de l'époque et critique les fondements sociaux et religieux qui maintiennent les femmes dans une position subordonnée. Agrippa plaide pour une réévaluation des rôles traditionnels des genres, proposant une vision du monde où les femmes auraient la liberté d'exercer toutes les vertus et capacités intellectuelles à égalité avec les hommes.
3.3. De incertitudine et vanitate scientiarum
De incertitudine et vanitate scientiarum (Sur l'incertitude et la vanité des sciences), publié en 1530, est un autre ouvrage majeur d'Agrippa où il exprime son scepticisme croissant à l'égard de la connaissance et des disciplines académiques de son temps (qui était pour l'époque grandement contrôlées par l'Église catholique).
Dans ce livre, Agrippa examine et critique les différentes branches de la science, de la médecine, du droit, de la philosophie, et même de la théologie. Il argumente que beaucoup de ce qui est enseigné comme des vérités absolues dans les institutions académiques est en fait incertain, sujet à l'erreur, ou fondamentalement futile. Le texte est structuré en une série de chapitres, chacun dédié à critiquer une discipline spécifique, révélant les limites et les contradictions des savoirs établis.
Agrippa utilise un mélange d'érudition classique, d'analyse philosophique et d'ironie pour démontrer que le prétendu savoir souvent ne fait que masquer l'ignorance ou servir les intérêts de ceux qui sont au pouvoir. Il plaide pour une approche plus humble et interrogative de l'apprentissage, suggérant que la reconnaissance de notre ignorance est le premier pas vers la vraie sagesse.
4. L'Alphabet Céleste ou Chiffre d'Agrippa
Dans De Occulta Philosophia, Agrippa explore le concept des langues sacrées telles que l'Hébreux et discute des diverses manières par lesquelles les mots et les noms peuvent être utilisés pour influencer les réalités spirituelles et physiques. Ainsi, l'Alphabet Céleste (ou Celestial) est composé de caractères basés sur les formes des constellations, pouvant être utilisés pour transcrire des textes en langues angéliques ou pour des inscriptions magiques. Bien qu'il soit exposé dans cet ouvrage, il n'existe pas de preuve formelle qu'Agrippa en soit le créateur.
Cet alphabet est composé de 22 caractères (sans voyelles) et présenté comme un moyen de communication avec les êtes divins tels que les anges.
5. Les carrés planétaires d'Agrippa
Les carrés magiques d'Agrippa font parties des aspects les plus intrigants de ses écrits. Cela va certainement vous rappeler des souvenirs d'écoles, mais ces carrés sont en fait utilisés bien avant la naissance de Cornelius Agrippa, mais ce dernier les a adapté et popularisé dans les sciences occultes.
Ces carrés sont des tableaux de nombres disposés de manière à ce que la somme de chaque colonne, chaque rangée et chaque diagonale principale soit la même, ce qui crée une harmonie numérique que l'on considère comme magique ou mystique.
Il attribue chaque carré magique à une des sept planètes classiques de l'astrologie, ce qui leur confère des attributs et des pouvoirs spécifiques selon la planète associée :
Saturne | Carré de 3x3, total magique de 15 |
Jupiter | Carré de 4x4, total magique de 34 |
Mars | Carré de 5x5, total magique de 65 |
Soleil | Carré de 6x6, total magique de 111 |
Vénus | Carré de 7x7, total magique de 175 |
Mercure | Carré de 8x8, total magique de 260 |
Lune | Carré de 9x9, total magique de 369 |
Les carrés magiques sont souvent gravés sur des talismans ou des amulettes, chaque carré invoquant les influences astrologiques correspondantes telles que la protection, la guérison, ou l'amélioration de certaines capacités ou circonstances. L'idée est que le carré, par son ordre et sa perfection numérique, attire et canalise les énergies célestes de la planète à laquelle il est associé.
Agrippa et d'autres occultistes de l'époque voyaient dans les carrés magiques une manifestation de l'ordre divin et de la structure de l'univers. Ils symbolisent l'harmonie et l'équilibre des forces cosmiques.
Vous savez désormais tout sur ce personnage important de l'ésotérisme et de l'occultisme qui résonne encore aujourd'hui.
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